Les parents ne veulent pas de l’introduction précoce qui empêche pourtant l’apparition des allergies alimentaires

lundi 8 décembre 2025 par Dr Philippe Auriol94 visites

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Les parents ne veulent pas de l’introduction précoce qui empêche pourtant l’apparition des allergies alimentaires

Les parents ne veulent pas de l’introduction précoce qui empêche pourtant l’apparition des allergies alimentaires

lundi 8 décembre 2025, par Dr Philippe Auriol

Depuis que LEAP et de vastes recherches ont été menées sur l’introduction précoce d’aliments, le concept est clair : il faut commencer à introduire des œufs, du poisson, du lait et des arachides entre quatre et six mois afin de minimiser le risque d’allergies. Cependant, lorsque vous vous rendez chez un pédiatre ou dans une PMI, vous pouvez encore entendre des phrases telles que « on verra plus tard » ou « surtout pas de cacahuète avant 3 ans ».

Dans leur étude, Shen et ses collaborateurs se sont penchés sur la manière dont les parents américains mettent en pratique ces directives : quels aliments donnent-ils quotidiennement à leurs bébés ? Quels facteurs entravent l’introduction des neuf allergènes majeurs (lait, œuf, arachide, fruits à coque, poisson, crustacés, blé, sésame, soja) ? Navigating early allergenic food introduction : Practices andbarriers among parents and caregiversWan Shen and al.

Méthode

  • Type d’étude
    Il s’agit d’une étude transversale, réalisée sous forme de questionnaire en ligne, qui a été menée dans le Midwest des États-Unis de janvier à mars 2024.
  • Population
    • 968 réponses ont été reçues, et 563 ont été analysées après avoir éliminé les réponses incohérentes, incomplètes et provenant de bots.
    • Parents ou aidants d’enfants âgés de 0 à 5 ans (moyenne d’âge des enfants : 7,5 mois).
    • La majorité des répondants (85 %) se décrivent comme blancs, et leur revenu médian se situe autour de 61 000 dollars par an.
  • Questionnaire
    • Informations démographiques et historique des allergies (personnelles et familiales).
    • Âge de la première exposition et fréquence de consommation des neuf allergènes.
    • Stade de « préparation » pour appliquer les directives, selon le Precaution Adoption Process Model.
    • Score « d’appréhension » lié à l’introduction, allant de 4 à 20.
    • Questions libres analysées par thème sur les conseils reçus, les craintes et les obstacles.

Résultats

De nombreuses allergies… surestimées

  • 44 % des parents disent que leur enfant souffre d’une allergie alimentaire.
  • Top 3 : Œuf, arachide, lait de vache. Ceci correspond aux données épidémiologiques pédiatriques, mais les taux sont clairement surestimés (biais de sélection et de déclaration).
  • Les éléments qui font leur apparition précocement… et ceux qui trainent parmi les 529 familles ayant initié la diversification alimentaire :
    • Avant 1 an :
      • œuf : 72 %
      • blé : 63 %
      • sésame : 52 %
      • crustacés : 44 % seulement
      • Arachide, fruits à coque, poisson et soja sont dans une zone intermédiaire (environ 55–60 % à 12 mois).
    • Chez les nourrissons souffrant d’eczéma, asthme ou rhinite : seuls 19,8 % des bébés reçoivent de l’arachide entre 4 et 6 mois, ce qui correspond aux recommandations du NIAID pour les nourrissons présentant un risque.
  • Fréquence de consommation
    Même lorsque l’allergène est introduit, il n’est pas toujours consommé régulièrement : entre un tiers et la moitié des familles donnent ces aliments « rarement ou très rarement », ce qui soulève des questions sur la persistance de la tolérance.
  • Barrières identifiées pour les parents qui ne font pas découvrir certains aliments à leurs enfants :
    • Pratiques culturelles ou religieuses : 16 %
    • Avis du médecin de ne pas introduire : 15,6 %.
    • Présence d’allergie alimentaire dans le foyer : 14 %.
    • Goût de l’enfant, contraintes pratiques : 11 %.
    • Désinformation sur Internet, réseaux sociaux, peur de la réaction : 10 % chacun.
  • Des préconisations médicales très disparates Seuls 55,9 % des parents affirment avoir bénéficié de conseils clairs sur l’introduction des allergènes. Les sujets abordés dans les réponses ouvertes sont les suivants :
    • mesures de sécurité (surveiller l’enfant, lui donner le matin, avoir un antihistaminique à portée de main) ;
    • grande hétérogénéité sur le « quand introduire » : de 4 à 6 mois à « le plus tard possible » ;
    • angoisse autour de l’étouffement, des étiquettes et des informations contradictoires.

Discussion

Cette étude confirme que l’application de l’introduction précoce reste imparfaite plusieurs années après LEAP, EAT et les recommandations qui en ont découlé. Les cacahuètes, les fruits à coque, le poisson, les crustacés et le sésame ont souvent un temps d’introduction trop tardifs et sont peu présents dans l’alimentation.

  • Deux freins majeurs ont été identifiés :
    • a culture (régimes alimentaires végétariens ou religieux, traditions familiales)
    • le message médical, qui peut encore promouvoir l’évitement ou entrer en conflit avec les directives récentes.
  • Les auteurs insistent sur l’intérêt d’associer des diététiciennes et diététiciens aux équipes pédiatriques afin :
    • d’adapter les conseils à la culture alimentaire
    • de proposer des formes « acceptables » (houmous d’arachide, poisson en rillettes, œuf dans des préparations cuites)
    • de rassurer quant à la valeur nutritionnelle de ces aliments, souvent très utiles chez le nourrisson.
  • Limites : échantillon "très blanc", recrutement en ligne, nombreuses données auto-rapportées (diagnostic d’allergie, conseils médicaux, fréquence de consommation), ce qui limite la généralisation et majore probablement la prévalence perçue d’allergie.

Conclusion

Pour nous, allergologues, ce travail fait écho à la consultation de « prévention allergique » que l’on rêve tous d’organiser avec les familles d’enfants eczémateux :

  • rappeler que l’introduction précoce n’est plus une prise de risque, mais une stratégie de prévention
  • Présenter des exemples très concrets de menus et de textures dès 4 à 6 mois
  • former pédiatres, médecins généralistes, sages-femmes et PMI pour qu’un même message clair soit répété à chaque étape
  • développer des supports écrits et vidéos, pourquoi pas relayés par les crèches.

Reste maintenant à transformer ces recommandations en messages simples, répétés et culturellement acceptables dans les familles… y compris chez nous, bien au-delà du Midwest américain.


On connaissait le paradoxe : plus on a peur de l’allergie, plus on retarde l’introduction des aliments… et plus on augmente le risque d’en déclencher une. Cette étude illustre parfaitement ce cercle vicieux. Les parents les plus préoccupés sont souvent ceux des bébés les plus jeunes, parfois déjà atteints d’eczéma, ceux pour lesquels nous devrions être les plus proactifs en ce qui concerne l’introduction précoce.

On constate également que le discours médical demeure flou : un pédiatre dit « foncez sur la cacahuète à 6 mois », tandis qu’un autre continue de préconiser l’éviction. Ajoutez une pincée de réseaux sociaux, quelques vidéos alarmistes sur l’anaphylaxie et vous obtenez un mélange explosif qui risque de vous faire hésiter à introduire quoi que ce soit.

Pour l’allergologue, l’enjeu est double : se mettre lui-même à l’aise avec les données de la littérature, puis devenir « coach culinaire » des familles, en proposant des exemples très concrets et adaptés à leur culture alimentaire. Ce n’est peut-être pas aussi spectaculaire qu’une désensibilisation à l’arachide, mais, si l’on veut réellement combattre l’épidémie d’allergies, cela doit commencer dès le biberon, vers 4 à 6 mois.

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