Oedèmes de la face, oui, mais pas de profil

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Oedèmes de la face, oui, mais pas de profil

Oedèmes de la face, oui, mais pas de profil

lundi 9 juin 2025, par Dr Philippe Auriol

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2) sont largement prescrits pour traiter l’hypertension artérielle et l’insuffisance cardiaque. Leur efficacité est bien établie, mais leur utilisation peut être entachée d’un effet indésirable rare mais potentiellement mortel : l’angio-œdème non histaminergique, qui peut affecter le visage, la langue ou le larynx.

L’étude vARIANCE et l’analyse de la base de données européenne de pharmacovigilance EudraVigilance cherchent à identifier les facteurs non héréditaires liés au développement de ces angio-œdèmes. Cela devrait permettre une détection plus efficace des patients à risque.
Dubrall D, Branding NL, Mathey CM, et al. Non-genetic factors associated with ACE-inhibitor and angiotensin receptor blocker-induced angioedema. Clin Transl Allergy. 2025 ;e70058.

Méthode

L’étude s’appuie sur deux ensembles de données principales :

  • Le registre vARIANCE, une étude multicentrique menée en Allemagne et en Autriche sur 114 patients adultes ayant présenté un angio-œdème attribuable à un IEC ou à un ARA2, après avoir écarté les causes héréditaires et allergiques (urticaires, par exemple).
  • La base de données EudraVigilance de l’EMA, qui a permis de recueillir 171 signalements d’angio-œdèmes spontanés entre 2018 et 2023, provenant d’Allemagne, et 4650 notifications de référence sans angio-œdème.

Les personnes éligibles pour cette étude devaient remplir certains critères, notamment :

  • Une causalité possible selon les critères de l’OMS
  • L’exclusion des cas présentant de l’urticaire associée
  • Des données comparées à une population de référence exposée aux mêmes médicaments, mais sans angio-œdème.

Les études statistiques incluaient plusieurs aspects :

  • Des analyses descriptives (âge, sexe, IMC, antécédents, localisation, durée, traitement, etc.)
  • Odds ratio brut et ajusté, grâce à la méthode de régression logistique.
  • Une analyse de régression conditionnelle conjointe, en utilisant un rapport 1:10.

Résultats

  • Patients : âge moyen de 64 ans (dans la base de données) et 67 ans (dans EudraVigilance), majoritairement masculins.
  • IMC : 70 % des patients avaient un IMC supérieur à 25 (surpoids).
  • Allergies : 34 % des patients présentaient une allergie (pollen, acariens, médicaments), avec un OR ajusté de 3,3 dans l’analyse conditionnelle.
  • Angio-œdème : 58 % des patients du registre avaient déjà souffert d’angio-œdème, dont 63 % après avoir pris des IEC ou ARA2.
  • Le traitement suspecté était un IEC dans 84 % des cas de variance (ramipril en tête), et un ARA2 dans 60 % des cas EudraVigilance (sacubitril/valsartan en tête).
  • 70 % des angio-œdèmes de la cohorte variance survenaient après plus d’un an de traitement, tandis que 60 % des cas EudraVigilance apparaissaient dans les deux premiers mois.
  • Les lésions étaient principalement localisées sur les lèvres, la langue et le visage.
  • Hospitalisation nécessaire dans 52 % des cas vARIANCE et 31 % des cas EudraVigilance.
  • Traitements les plus utilisés : corticoïdes et antihistaminiques (efficacité perçue dans 25 à 55 % des cas selon la base).
  • Facteurs associés à un sur-risque d’angio-œdème :
    • des antécédents d’allergies (OR ajusté : 3,3) ;
    • la prise concomitante de médicaments tels que l’everolimus ou les fibrinolytiques ;
    • des maladies auto-immunes (OR ajusté : 2,8).
  • Cependant, certaines conditions peuvent offrir une protection relative, bien que non significatifs) : hypothyroïdie, diabète.

Discussion

  • L’étude confirme que les IEC/ARA2 peuvent causer des angio-œdèmes même plusieurs années après leur utilisation.
  • Les antécédents d’allergies et d’angio-œdèmes sont les facteurs de risque les plus fiables.
  • La survenue après re-challenge est fréquente (66 %), justifiant l’arrêt définitif du médicament suspect.
  • Le poids, le sexe et l’âge ne sont pas des facteurs de risque suffisants.
  • Le risque semble plus élevé avec certains médicaments, notamment le sacubitril/valsartan, mais cela pourrait être dû à un biais de notification.
  • La prise concomitante de mTORi (everolimus) ou de fibrinolytiques augmente nettement le risque (OR très élevé, mais effectif faible).
  • Il n’y a pas de signe physique spécifique pour distinguer l’IEC de l’ARA2, et il n’y a pas non plus d’indication positive concernant la tolérance initiale.
  • Le lien avec des pathologies cardiovasculaires graves (coronaropathies, insuffisance cardiaque) pourrait être dû à la fois à un terrain plus fragile et à un biais dans les prescriptions/déclarations.

Conclusion

Cette étude présente un tableau complet des facteurs non génétiques associés aux angio-œdèmes induits par les IEC/ARA2. Elle confirme qu’il n’existe pas de profil clinique suffisamment discriminant pour éviter ce risque iatrogène grave.

  • Il est crucial de questionner tous les patients sous IEC/ARA2 sur d’éventuels antécédents d’angio-œdème.
  • En cas d’apparition d’un œdème, il est impératif d’interrompre définitivement le traitement suspect.
  • Même après une longue période de tolérance (supérieure à 12 mois), un angio-œdème peut survenir.

L’avenir réside dans la fusion des données médicales et génétiques pour élaborer des profils de risque personnalisés.


L’angio-œdème non histaminergique des IEC/ARA2 est une forme clinique insidieuse pour l’allergologue. Son phénotype — souvent facial, sans urticaire — évoque parfois un angio-œdème bradykinique héréditaire. D’autant plus que, contrairement à ce dernier, il ne répond ni aux antihistaminiques, ni à l’adrénaline.

Cette recherche met en évidence un aspect crucial : ces événements indésirables ne se produisent pas nécessairement au début du traitement, mais peuvent survenir plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard. Cela complexifie la vigilance du clinicien, qui aura tendance à relier un angio-œdème à des médicaments plus récemment introduits.

Pour l’allergologue, deux points méritent d’être soulignés :

  • La coexistence d’une atopie augmente le risque, sans qu’on puisse parler d’allergie médicamenteuse stricto sensu.
  • Les traitements par IEC ou ARA2 doivent être interrogés systématiquement devant tout angio-œdème isolé, en particulier facial, même en l’absence de réaction immédiate ou d’éruption.

Enfin, si les données génétiques ne sont pas encore accessibles dans la pratique courante, elles pourraient permettre d’identifier les rares patients chez qui la prescription d’un IEC expose à un risque vital. En attendant, une bonne anamnèse reste notre meilleure arme.

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