Le saint sein protège-t-il le bébé des allergies alimentaires ?

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Le saint sein protège-t-il le bébé des allergies alimentaires ?

Le saint sein protège-t-il le bébé des allergies alimentaires ?

lundi 23 juin 2025, par Dr Philippe Auriol

Concentration des allergènes alimentaires dans le lait maternel et rôle des facteurs maternels : une revue systématique

Problématique

La présence d’allergènes alimentaires dans le lait maternel constitue un moyen potentiel de développer une tolérance orale chez le nourrisson. Bien que des preuves animales et des données épidémiologiques suggèrent un effet protecteur de cette exposition précoce, la concentration de ces allergènes varie considérablement d’une mère à l’autre, même après l’ingestion de quantités standardisées. Cette diversité individuelle suggère que des facteurs maternels pourraient jouer un rôle dans ce processus. L’étude menée par Hughes et coll. (2025) et publiée dans Pediatric Allergy and Immunology propose une analyse exhaustive pour examiner cette éventualité.

Méthode

  • Cette revue systématique a été enregistrée sur PROSPERO (CDR42024558231) et a été menée selon les recommandations PRISMA.
  • Les bases de données MEDLINE, EMBASE, Cochrane Library, CINAHL et Scopus ont été interrogées jusqu’au 10 mars 2025.
  • Les critères d’inclusion : études humaines avec un contrôle de la consommation maternelle d’un allergène alimentaire courant et la mesure de sa concentration dans le lait.
  • Nous avons exclu les études comportant un seul participant pour faciliter les comparaisons.
  • 17 études publiées entre 1983 et 2023 ont été incluses. Elles portaient sur le lait de vache (7), l’œuf (7), l’arachide (3) et le gluten (1).

Résultats

  • Bien que les quantités consommées soient normalisées, la teneur en allergènes du lait présente une grande variabilité chez les femmes.
  • Les allergènes les plus étudiés sont l’ovalbumine (œuf), la bêta-lactoglobuline (lait de vache), l’Ara h 2/6 (arachide) et la gliadine (gluten).
  • Les méthodes de dosage utilisées sont l’ELISA, le radio-immuno-essai et le microchip.
  • Les études examinant les facteurs maternels ont porté sur le statut atopique (4 études), la consommation habituelle de l’allergène (2 études), le stade de lactation (1) et la perméabilité de l’épithélium mammaire (1).
  • Aucune de ces études n’a révélé de lien significatif entre ces facteurs et les taux d’allergènes dans le lait.
  • Le biais de qualité était important. Seul 4 des 17 études étaient randomisées. Peu rapportaient des échantillons de base avant ingestion ou des points de prélèvement standardisés.

Discussion

  • Cette revue met en évidence un manque significatif de méthodologie dans les travaux disponibles : hétérogénéité des méthodes, absence de design centré sur les facteurs maternels, faible puissance statistique.
  • Il est possible que l’étape de lactation influence la teneur globale en protéines du lait : le colostrum présente une concentration plus élevée en protéines que le lait mûr. Toutefois, peu d’études ont mesuré les allergènes à différents stades.
  • Les facteurs tels que l’IMC, l’âge maternel et le tabagisme, connus pour influencer la composition du lait maternel, n’ont pas été suffisamment étudiés.
  • Les études PrEggNut et Nuts For Babies portent sur l’effet d’un régime maternel riche en allergènes. Les variations interindividuelles non expliquées pourraient fausser les interprétations.

Conclusion

Cette revue systématique montre qu’il n’existe pas d’études spécifiquement conçues pour analyser les liens entre les caractéristiques maternelles et la concentration d’allergènes dans le lait. Elle encourage le développement de recherches solides et longitudinales, avec des dosages standardisés, une classification selon les caractéristiques maternelles (âge, IMC, tabagisme, parité) et un suivi des étapes de la lactation.


Cette revue met en évidence un aspect qui est rarement pris en compte dans la prévention des allergies alimentaires : la variabilité génétique de la mère. En allergologie pédiatrique, on insiste de plus en plus sur la prévention précoce, mais sans savoir comment le lait maternel affecte réellement l’exposition aux allergènes. L’idée de prescrire à la mère qui allaite une alimentation « tolérante » pourrait sembler intéressante, mais, faute d’une meilleure compréhension du mécanisme du transfert des protéines, cette approche s’avère peu fiable. Cette recherche jette les bases d’une médecine de précision périnatale, où un spécialiste en allergologie pourrait, à l’avenir, identifier une paire "mère-enfant" à risque et orienter la prévention dès l’allaitement. Encore faut-il mieux connaître la biologie du lait et ses caprices.

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