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Ce n’est pas la peau qui est malade : c’est votre corps qui s’enflamme
lundi 15 décembre 2025, par
Nous avons tendance à raisonner « par plaque », en distinguant l’eczéma atopique (DA), le psoriasis (Pso), l’hidradénite suppurée (HS), la pelade du cuir chevelu (AA) et le vitiligo (Vit). Mais qu’en est-il du sang de ces patients ? S’agit-il de maladies purement cutanées ou de phénotypes différents d’une même inflammation systémique ?
L’équipe de Glickman et coll. a utilisé une approche protéomique à grande échelle (plateforme Olink, 1472 protéines) pour cartographier finement l’activation immunitaire et cardiovasculaire dans cinq dermatoses inflammatoires : la dermatite atopique (AD), le psoriasis, l’hidradénite suppurée (HS), la pelade (AA) et le vitiligo, par rapport à un groupe témoin composé de personnes en bonne santé.
Objectif : décrire les éléments communs et distinctifs de ces profils, en les liant aux scores de gravité (SCORAD, PASI, IHS4, SALT, VASI), pour alimenter une médecine plus « moléculaire » qu’observationnelle. Large-Scale Blood Proteomic Analysis Across DifferentInflammatory Skin Conditions Reveals Extensive ImmuneDysregulation With Distinct Biomarker ProfilesJacob W. Glickman and al.
Méthode
- Type d’étude et population
- Étude transversale monocentrique.
- 38 personnes atteintes d’AA, 41 présentant une AD, 21 souffrant de psoriasis, 18 souffrant de HS, 25 souffrant de vitiligo, ainsi que 49 témoins appariés en termes d’âge et de sexe, tous des adultes, présentant des formes modérées à sévères.
- Aucune comorbidité majeure n’a été signalée, (comme le diabète, maladie cardio-vasculaire) ; arrêt préalable des immunosuppresseurs et biothérapies.
- Plateforme protéomique : Olink « Explore panel »
- 10 µL de sérum analysés par Proximity Extension Assay (PEA) multiparamétrique : anticorps couplés à des oligonucléotides qui ne s’hybrident que s’ils sont au contact du même antigène, puis quantifiés par PCR/NGS.
- Permet le dosage simultané de plus de 1400 protéines à partir de très faibles volumes.
- Analyse statistique
- Définition des protéines à expression différentielle (DEP) :fold-change| > 1,2 et FDR < 0,1.
- Corrélation entre protéines et sévérité clinique via corrélation de Spearman (rho, mesure non paramétrique de liaison monotone). 
- Analyse de voies par Gene Set Variation Analysis (GSVA) pour évaluer l’activité de grands axes (Th1, Th2, Th17, JAK/STAT, athérosclérose…). 
- Enrichissement de termes biologiques (ontologie génique) avec Enrichr.
Résultats
- Un orage systémique très variable selon la maladie avec un nombre de protéines perturbées par rapport aux témoins :
- HS : 429 DEP, principalement en hausse. C’est le record absolu.
- AA : 496 DEP, profil très inflammatoire mais plus équilibré up/down.
- Psoriasis : 398 DEP.
- AD : 221 DEP, quasi exclusivement en hausse.
- Vitiligo : seulement 36 DEP, essentiellement en baisse.
Aucune protéine unique n’est déréglée dans les cinq maladies : il n’y a pas de super-biomarqueur universel.
- Couples de maladies présentant des similitudes
- HS et psoriasis : avec un gros bloc Th1/Th17, des cytokines de neutrophiles (IL-1β, IL-6, IL-8, CXCL1, LCN2), S100, IL-17A/F, IL-19/20, des marqueurs inflammatoires.
- AA et AD : signature mixte Th1/Th2/Th22, IL-4R, IL-5RA, CCL26/27, IL-32, IL-15/16, MMP-12, CXCL10.
- Cardio-vasculaire : la HS en tête du peloton à risque
- HS : forte augmentation de PDGFA, SELP, MMP-9, PLA2G2A, etc.
- AD, AA, psoriasis : profil CV/athérosclérose aussi perturbé mais plus modéré (SELE, VWF, HGF…).
- Les scores de sévérité (IHS4, SCORAD, SALT, PASI) corrèlent positivement à des combinaisons de marqueurs Th1, Th2, Th17 et vasculaires (VEGFA, AZU1, PLAUR…).
- Vitiligo : un calme trompeur. Peu de DEP, surtout une baisse de protéines anti-stress oxydatif (PRDX6, PON2), ce qui évoque un mécanisme plus local que systémique.
Discussion
- Cette cartographie sérique montre que nos grandes dermatoses inflammatoires sont des maladies systémiques, avec une intensité maximale pour la HS, puis l’AA, le psoriasis et l’AD, et un vitiligo beaucoup plus discret au niveau sanguin.
- Les voies de signalisation Th2 communes AA/AD soutiennent l’utilité des thérapies biologiques qui visent IL-4/IL-13, et, qui sait, dans un avenir proche, OX40/OX40L, pour traiter l’alopécie, à l’instar de leur efficacité démontrée dans le traitement de la dermatite atopique.
- Le bloc massif de la HS et du psoriasis vient conforter la place des anti-IL-17, des inhibiteurs de la voie IL-1/IL-36 et probablement des inhibiteurs de JAK comme options systémiques logiques.
Les marqueurs d’athérosclérose et de risque cardiométabolique rappellent que ces maladies, en particulier la HS, ne se gèrent pas seulement avec une crème et un scalpel. Un bilan lipidique, une surveillance du poids et de la tension artérielle, et pourquoi pas, une place pour les agonistes GLP-1 pourraient entrer dans le « package » de prise en charge.
- Limites : échantillon restreint, un seul temps de prélèvement, pas de comparaison systématique avec les profils cutanés ni avec les événements cardiovasculaires réels ; la protéomique Olink actuelle semble peu sensible pour le vitiligo.
Conclusion
Cette recherche fournit une représentation détaillée des déséquilibres immuno-protéiques circulants dans cinq dermatoses courantes. Elle renforce deux points clés pour le médecin allergologue-dermatologue :
- considérer les axes immunitaires (Th1/Th2/Th17, JAK/STAT, neutrophiles, athérosclérose) plutôt que les cases nosologiques imperméables ;
- Il est crucial de considérer chaque patient atteint d’AD, de HS, d’AA ou de psoriasis comme un cas de maladie systémique présentant un risque cardiométabolique ajustable.
En définitive, l’association de ces profils protéiques à la clinique et à la génétique pourrait permettre de sélectionner plus précisément la thérapie biologique, de surveiller la réponse au traitement et, qui sait, de prédire quels patients tireront profit d’une stratégie métabolique additionnelle.
Pour l’allergologue, ces graphiques et cartes thermiques évoquent une sensation de déjà-vu. Ils rappellent l’impression ressentie face à l’IgE totale très élevée d’un patient atteint d’une forme grave d’allergie respiratoire, ou au taux de tryptase légèrement supérieur chez un patient souffrant de mastocytose. Cet article souligne que les « maladies de peau » sont en réalité des maladies systémiques, caractérisées par une production excessive de cytokines qui se diffusent dans le sang, entraînant des conséquences cardiovasculaires réelles.
On retiendra surtout deux idées pratiques. Tout d’abord, la HS n’est pas seulement une question de nodules infectés dans les plis : sa signature sérique est la plus explosive, avec un risque cardiovasculaire qui nécessite de sortir du champ dermatologique. Ensuite, la proximité immunologique AA/AD ou HS/psoriasis laisse entrevoir un futur où l’on choisira une molécule non plus seulement sur l’AMM mais sur le profil protéique du patient. Toutefois, en attendant ces tests courants, il est crucial d’adopter dès maintenant le réflexe « maladie systémique », ce qui implique de réaliser des bilans métaboliques et des dépistages cardiovasculaires, ainsi que d’engager une discussion thérapeutique allant au-delà du simple choix entre une crème ou une biothérapie « tendance » du moment.
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