La gravité d’une réaction allergique à un aliment est souvent déterminée « à l’œil ». On peut observer des urticaires bénignes d’un côté et des anaphylaxies potentiellement mortelles de l’autre. Entre les deux, il y a un grand flou clinique, émotionnel et économique. Le projet DEFASE de la WAO propose une échelle globale de gravité, comparable à ce que GINA a fait pour l’asthme. L’étude FASE, présentée ici, a interrogé 157 centres dans 50 pays afin de connaître la répartition des cas graves d’allergies alimentaires à travers le monde, les outils disponibles ainsi que leurs coûts pour les familles et les systèmes de santé. Food allergy severity across the world : A World Allergy Organization international survey
Stefania Arasi and al.
Méthode
- Enquête internationale en ligne, via un questionnaire WAO (42 questions), auprès des sociétés nationales d’allergologie et des Centres d’excellence.
- Contenu du questionnaire
- Organisation des centres et type de système de santé.
- Outils diagnostiques disponibles : prick-tests, IgE totales/spécifiques, diagnostics moléculaires, tests de provocation orale (OFC).
- Accès aux traitements : éviction seule, OIT, omalizumab, dupilumab.
- Profil des patients : aliments incriminés selon l’âge, formes cliniques (urticaire, A.F.O., anaphylaxie, eczéma…), fréquence des réactions.
- Contenu de la grille DEFASE :
- A : symptômes les plus sévères,
- B : traitement minimum nécessaire (adrénaline, hospitalisation),
- C : dose minimale déclenchante,
- D : retentissement sur la qualité de vie,
- E : impact médico-économique.
- Coûts
Les centres ont également estimé les coûts unitaires (en dollars américains) d’adrénaline, d’ambulance, d’urgence, de réanimation, de consultations (avec un allergologue, un diététicien et un psychologue) et d’examens (SPT, IgE et molécules OFC).
Résultats
- Une grande diversité de pratiques
- SPT et IgE sont globalement disponibles, mais les diagnostics moléculaires restent concentrés en Europe et en Océanie, tandis qu’ils sont rares en Afrique et en Amérique latine.
- Les OFC sont quasiment omniprésents en Océanie et assez répandus en Amérique du Nord et en Europe du Nord, mais leur accessibilité est inférieure à 50 % dans une grande partie de l’Europe de l’Ouest.
- L’OIT est largement disponible en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, mais elle est relativement rare ailleurs. Omalizumab est déjà utilisé pour l’allergie alimentaire dans plusieurs régions à hauts revenus.
- Quels aliments sont les plus responsables d’allergies dans les différentes régions du monde ?
- Arachide : en tête au Canada, en Europe du Nord et en Océanie ; quasiment anecdotique en Asie du Sud-Est.
- Lait de vache : très répandu dans les régions à population jeune (Amérique centrale, Afrique du Nord, Amérique du Sud).
- L’œuf est dominant en Asie occidentale et dans le sud de l’Afrique.
- Blé plus souvent en cause en Afrique, noisette en Europe, pêche et Pru p 3 emblématiques du Sud de l’Europe.
- Phénotypes des anaphylaxies
- Dans ces établissements, environ 24 % des patients ont subi une anaphylaxie.
- Parmi ces anaphylaxies, 35 % ont présenté des symptômes respiratoires et cardiovasculaires graves, atteignant même 50-56 % en Afrique australe et en Asie occidentale.
- Près de la moitié des anaphylaxies sont déclenchées par de très petites quantités d’aliments, un patient sur quatre réagissant même à une demi-portion adaptée à son âge.
- Adrénaline
- L’auto-injecteur n’est disponible que dans environ 68 % des pays, avec des prix allant de 30 $ (Afrique australe et Europe du Sud) à plus de 200 $ en Amérique du Nord.
- L’utilisation d’adrénaline lors de l’épisode le plus grave varie de 3 % (Asie du Sud) à 50 % (Afrique australe).
- Les récidives d’anaphylaxie sévère sur 12 mois atteignent 20 % dans plusieurs régions, et même 42 % en Asie du Sud.
- Qualité de vie et coûts
- Seuls 20 % des patients disent que leur allergie n’a qu’un impact mineur sur la vie quotidienne ; dans plusieurs zones (Europe de l’Est, Amériques centrale et du Sud, Asie du Sud, Afrique australe), >40 % des patients ont une qualité de vie « sévèrement » altérée.
- Selon les situations, un patient peut dépenser entre 6 % et 12 % de son revenu annuel pour traiter son allergie. Ces coûts peuvent atteindre des sommets, allant jusqu’à plus de 90 % du revenu annuel, en cas d’hospitalisation en soins intensifs en Afrique australe.
- Ce que DEFASE donnerait dans la vraie vie
Selon les auteurs, en utilisant l’échelle, on peut estimer que :- 2,8 % des patients obtiendraient un score de 3 dans la catégorie A (symptômes),
- 1,3 % dans le domaine B (thérapeutique),
- 16,5 % dans le domaine C (dose très faible),
- 36,8 % dans le domaine D (qualité de vie très altérée).
Cela signifie que la proportion de « haute sévérité » se situerait approximativement à 3 %, ce qui correspond à l’incidence de l’asthme sévère réfractaire.
Discussion
- L’enquête montre que l’allergie alimentaire sévère représente une minorité de patients, mais concentre la morbidité, l’anxiété et les coûts. Le score DEFASE permet de distinguer ceux qui sont « très sévères » par leurs symptômes de ceux qui le sont par leur dose déclenchante, leur vécu ou leur situation économique.
- Les disparités Nord/Sud sont frappantes : absence d’auto-injecteur, faible recours à l’adrénaline, accès limité aux OFC et aux biothérapies dans de nombreux pays. À l’inverse, OIT et omalizumab se développent dans les régions à hauts revenus, sans toujours que les bases (diagnostic, éducation, plan d’action) soient généralisées.
- La distribution des allergènes reflète les habitudes alimentaires et la réglementation locale (arachide anglo-saxonne, Pru p 3 méditerranéen, lait et œuf omniprésents), rappelant que la « sévérité » n’est pas détachable du contexte culturel et socio-économique.
- Enfin, l’impact sur la qualité de vie ressort comme le domaine le plus souvent « très sévère » dans DEFASE : restriction sociale, peur diffuse, charge mentale et financière dépassent largement la seule fréquence des anaphylaxies.
Conclusions
- Cette étude révèle que l’allergie alimentaire sévère est rare, mais qu’elle consomme beaucoup de ressources. Elle est concentrée dans des centres d’expertise et dépend fortement du contexte : disponibilité d’auto-injecteurs, lois d’étiquetage, offre d’OIT et de biothérapies.
- La grille DEFASE semble conforme à cette réalité : la plupart des patients ont des symptômes et des traitements « au maximum », mais beaucoup souffrent surtout d’un impact important sur leur qualité de vie et leur porte-monnaie. L’outil est utile pour l’allergologue afin de prioriser les indications d’immunothérapie orale, d’omalizumab ou de protocoles de désensibilisation complexes.
- Enfin, les auteurs appellent à un effort épidémiologique mondial. Malgré l’impression clinique d’une « vague » d’allergies, très peu de pays disposent de données robustes sur la prévalence et le coût. Cela complique toute planification de soins et l’accès équitable aux innovations.
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