Un beau travail de l’équipe de Françoise Bienvenu (Laboratoire d’Immunologie, CHU Lyon-Sud) était présenté au 16ème Congrès Européen d’Immunologie qui s’est tenu à Paris du 6 au 9 septembre 2006 [1].
– Ces auteurs ont étudié la réactivité sérique vis à vis de 9 allergènes recombinants (rHev b 1, 2, 3, 5, 6.01, 6.02, 8, 9, et 11) chez 61 adultes positifs en CAP pour le latex.
– Leur intention était de dégager des tendances caractérisant telle ou telle forme de sensibilisation au latex et d’en déduire une aide au diagnostic.
– Les recombinants ont été testés avec la technique CAP Phadia.
– Le panel de ces recombinants recouvre la majeure partie des allergènes connus du latex (cf. tableau ci-dessous). - Malgré tout, 8 des 61 patients se sont révélés négatifs pour les 9 recombinants testés.
Allergène | Fonction | Glycosylé | Inclus dans l’étude |
---|---|---|---|
Hev b 1 | Facteur d’élongation (REF) | Oui | |
Hev b 2 | Beta 1,3 glucanase | Oui | Oui |
Hev b 3 | REF-like | Oui | |
Hev b 4 | Lécithinase | Oui | |
Hev b 5 | ? | Oui | |
Hev b 6.01 (pro-hévéine) | Barwin-like | Oui | |
Hev b 6.02 (hévéine) | Lectine | Oui | |
Hev b 7 | Patatine-like | ||
Hev b 8 | Profiline | Oui | |
Hev b 9 | Enolase | Oui | |
Hev b 10 | Superoxyde dismutase (Mn) | ||
Hev b 11 | Chitinase de classe 1 | Oui | |
Hev b 12 | Lipid transfer protein (LTP) | ||
Hev b 13 | Early Nodule Specific Protein | Oui |
– Les patients étudiés se répartissaient en 3 groupes : 28 sujets ayant présenté un choc peropératoire, 28 sujets professionnellement exposés au latex, et 5 sujets ayant une allergie alimentaire.
– Ce dernier groupe étant en nombre restreint, il est difficile de le comparer aux autres groupes. On peut remarquer cependant qu’aucun de ces sujets n’a été trouvé positif pour rHev b 1 ou rHev b 3.
– La réactivité pour les 2 autres groupes est variable d’un sujet à un autre. Mais des tendances globales sont notées.
– La réactivité vis à vis d’un seul recombinant parmi les 9 testés est rare, confirmant ce qui est vu pour la plupart des produits allergisants naturels (pollens, acariens, aliments, moisissures, etc..) : sur les 61 patients, 3 ne sont réactifs qu’à rHev b 5, trois sont mono-réactifs à rHev b 6.01 et un à rHev b 1.
Le tableau ci-après compare les résultats des auteurs Lyonnais avec des travaux similaires (adultes, technique CAP).
Prévalence (en %) de positivité in vitro pour des allergènes du latex chez des adultes :
Origine | Allemagne | Espagne | Portugal | Portugal | France | (travail présent) |
---|---|---|---|---|---|---|
Références | [2]- [3] | [4]- [5] | [6] | [7] | [8] | |
Sujets | SPE | SPE | SPE | AL | SPE | CPO |
Nb de sujets | 25-71 | 6-24 | 21 | 10 | 28 | 28 |
rHev b 1 | 23 | 3-6 | 5 | 0 | 0 | 25 |
rHev b 2 | 100 | 71 | 0 | 39 | 57 | |
rHev b 3 | 12 | 0 | 10 | 10 | 4 | 21 |
rHev b 4 | ||||||
rHev b 5 | 68 | 33-75 | 62 | 30 | 39 | 57 |
rHev b 6.01 | 70-82 | 76 | 40 | 50 | 57 | |
rHev b 6.202 | 40 | 43 | 57 | |||
rHev b 7 | 16 | |||||
rHev b 8 | 10-20 | 14-18 | 5 | 20 | 21 | 18 |
rHev b 9 | 10 | 0 | 5 | 0 | 4 | 0 |
rHev b 10 | 3 | 0 | 5 | |||
rHev b 11 | 29 | 0-22 | 5 | 20 | 7 | 32 |
rHev b 12 | ||||||
rHev b 13 | 17 |
SPE : sujets professionnellement exposés au latex - AL : allergie au latex - CPO : choc per-opératoire
Les résultats obtenus en France sont donc proches de ceux relevés avec la même technique dans d’autres pays d’Europe. Les différences ont probablement pour origine les critères de recrutement des patients. Dans l’étude présente, le critère était la positivité in vitro pour le latex.
Quels enseignements peut-on tirer de cette étude ?
1)L’importance du mode de contact sur la réactivité vis à vis de tel ou tel allergène :
rHev b 1 et rHev b 3 sont plus rarement positifs en cas de contact respiratoire et/ou cutané que lors de contacts muqueux, notamment répétés.
Le lien entre les gestes opératoires et la sensibilisation à Hev b 1 et Hev b 3 est donc confirmé : les adultes professionnellement exposés au latex sont beaucoup moins souvent réactifs à ces allergènes que les enfants avec spina bifida (cf. tableau ci-dessous).
Par contre, les différences sont peu apparentes pour d’autres molécules comme Hev b 5, Hev b 6 ou Hev b 8.
Prévalence (en %) de positivité in vitro pour des allergènes du latex chez des enfants :
Origine | Allemagne | Espagne | Espagne | Portugal | |
---|---|---|---|---|---|
Références | [9]- [10] | [11] | [12]- [13] | [14] | |
Sujets | SB | Poly-op | SB + Poly-op | SB | Poly-op |
Nb de sujets | 9-58 | 8 | 26-28 | 20 | 10 |
rHev b 1 | 93-100 | 37 | 65 | 70 | 30 |
rHev b 2 | 0 | 69 | 70 | ||
rHev b 3 | 78 | 25 | 31 | 50 | 20 |
rHev b 4 | |||||
rHev b 5 | 33 | 75 | 58 | 55 | 40 |
rHev b 6.01 | 50 | 50 | 45 | 30 | |
rHev b 6.202 | 87 | ||||
rHev b 7 | 8 | 33 | 0 | ||
rHev b 8 | 0-12 | 25 | 0 | 10 | 0 |
rHev b 9 | 0 | 0 | 0 | ||
rHev b 10 | 0 | 0 | 0 | ||
rHev b 11 | 7 | 0 | |||
rHev b 12 | 0 | ||||
rHev b 13 |
SB : spina bifida - Poly-op : enfants ayant eu au moins 2 gestes opératoires
2) Les discordances entre la biologie et la clinique :
Il n’est pas rare que des tests soient trouvés positifs in vitro alors que les tests cutanés (TC) sont négatifs pour le même produit. Ce phénomène peut provenir d’une composition différente des extraits utilisés ou être du à la présence d’épitopes croisants non relevants cliniquement.
Ici, les auteurs notent une possible déficience en Hev b 5 dans l’extrait qu’ils ont utilisé en TC car, sur les 3 sujets mono-réactifs à rHev b 5 in vitro, deux étaient négatifs en TC.
La présence d’épitopes croisants non relevants cliniquement peut être suspectée dans le cas du latex chez les sujets polliniques : il s’agira de réactions croisées dues aux profilines et/ou aux « CCD » (épitopes glucidiques croisants).
Il a été montré, par exemple, que la réactivité in vitro pour le latex dans la population générale est plus fréquente en été qu’en hiver [15]. Cela est lié au regain saisonnier de l’exposition allergénique chez les polliniques, regain qui booste notamment la réactivité pour les profilines et les IgE capables de reconnaître des épitopes glucidiques dans les pollens.
Les auteurs Lyonnais ont testé un allergène qui sert d’indicateur de réactivité vis à vis des CCD, la broméline. Ils ont trouvé un CAP broméline positif chez 21% des sujets avec choc peropératoire et chez 27% des professionnels exposés. Si la correspondance globale avec une pollinose chez ces sujets n’est pas présentée dans ce travail, il est remarquable que tous les sujets CAP positifs latex mais négatifs pour les 9 recombinants étaient positifs pour la broméline.
L’importance des IgE anti-CCD est donc encore soulignée et pose la question de la spécificité des tests in vitro dans certaines situations [16].
En ce qui concerne les profilines, les auteurs notent que 11 des 13 sujets positifs à rHev b 8 (la profiline du latex), mais négatifs en TC et asymptomatiques, étaient polliniques. On voit que la sensibilisation aux profilines des pollens a créé une réactivité croisée vis à vis de rHev b 8 mais que cette trace immunologique n’atteint pas la pertinence clinique.
3) En pratique, comment peut-on tirer parti des tests basés sur des recombinants dans le cas du latex ?
– En présence d’un patient avec biologie positive et clinique négative, il est utile de dépister une réactivité sérique due à des profilines et/ou à des CCD.
- On peut tester in vitro la broméline ou la peroxydase de raifort en tant que protéines indicatrices d’IgE anti-CCD.
- La peroxydase pourrait s’avérer plus pertinente car la broméline, issue de l’ananas, possède une chaîne glucidique d’un type un peu différent de celui rencontré dans les plantes dicotylédones (M0XF3 au lieu de MMXF3) [17].
– Pour tester les profilines, on peut proposer celle du latex, rHev b 8, ou celle du pollen a priori responsable d’une réactivité croisée, rBet v 2 ou rPhl p 12 selon que le sujet est allergique au bouleau ou aux graminées.
– Accessoirement, rHev b 5 pourrait compléter cette enquête dans le cas d’une clinique évocatrice associée à un test cutané négatif.
- La cause d’une telle situation, rare car due à une mono-sensibilisation à Hev b 5, pourrait provenir d’un déficit en Hev b 5 dans l’extrait utilisé pour le TC.
- Il serait logique de pratiquer également un TC avec un extrait d’origine différente.
– La prévalence de réactivité vis à vis de rHev b 1 et rHev b 3 étant très différente selon le mode de contact allergisant avec le latex, on peut, dans certains cas compléter l’enquête étiologique chez un patient allergique au latex en testant ces 2 recombinants.
– Cependant, le résultat pour ces allergènes ne renseignera pas sur le risque de gravité des réactions cliniques. En effet, on ignore, pour le moment, si certaines protéines du latex jouent un rôle prédominant cliniquement : est-ce que Hev b 1 et Hev b 3 sont les plus importants lors d’un contact muqueux ? Est-ce plutôt Hev b 5 ou Hev b 6.01 ? Tout ce que l’on sait c’est que le relarguage des allergènes n’est pas le même de chaque côté des gants chirurgicaux : plutôt Hev b 1 et 3 depuis l’extérieur du gant, et plutôt Hev b 5 et 6 à l’intérieur. Cela conditionne probablement une sensibilisation différente pour Hev b 1 et Hev b 3 chez l’opéré et chez le chirurgien.
– Hev b 5 et Hev b 6 sont, eux, positifs aussi souvent chez des sujets exposés par voie respiratoire que chez ceux qui ont subi des actes chirurgicaux répétés.
- L’intérêt de tester rHev b 5 et rHev b 6.01 (ou rHev b 6.02) n’est donc pas étiologique mais s’inscrit plutôt dans l’exploration d’une association clinique latex-aliments.
- Les aliments les plus classiques de ce syndrome sont la banane, l’avocat, le kiwi et la châtaigne.
– Il a bien été montré que c’est la réactivité croisée entre domaines hévéine qui est à l’origine de cette association : les chitinases de ces aliments ont, comme la pro-hévéine du latex, un domaine N-terminal de type hévéine et sont susceptibles de croiser avec Hev b 6.01 et Hev b 6.02 dans le latex (cf figure).
Pourquoi est-il important de tester la réactivité vis à vis de ces allergènes du latex ?
Pour différencier une association latex-aliment due à des profilines, de celle due à une réactivité croisée entre hévéine et chitinases. Les observations cliniques montrent, en effet, que la survenue d’une réaction sévère au décours de l’ingestion d’un des aliments croisants est notablement plus fréquente si cette allergie croisée a pour support le domaine hévéine plutôt qu’une profiline.
Devant un sujet allergique (ou positif en TC) pour le latex et qui rapporte des réactions vis à vis d’aliments pouvant entrer dans un syndrome latex-aliments, il semble donc opportun de tester rHev b 6.02 (ou rHev b 6.01) et rHev b 8.
– La chitinase du latex, Hev b 11, possède aussi un domaine hévéine. Mais la place d’Hev b 11 est mal définie.
- Non seulement une réactivité vis à vis de rHev b 11 sans réactivité pour rHev b 6.02 est rare [18], mais il semble que le domaine hévéine d’Hev b 11 ait avec celui des chitinases alimentaires une homologie moins propice à une réactivité croisée notable.
- Tester rHev b 11 apportera peu de renseignements dans l’état actuel de nos connaissances.
– Il en est de même pour rHev b 9 et rHev b 10.
- A noter cependant que la positivité pour l’énolase rHev b 9 n’est pas rare chez les sujets allergiques aux moisissures : environ 1/4 de ces derniers présentent un CAP positif pour rHev b 9 [19].
- Cela est du à une sensibilisation vis à vis des énolases présentes dans la plupart des moisissures.
- Dans la mesure où cette réactivité croisée semble sans retentissement clinique vis à vis du latex, il pourrait être envisagé, pour des cas nécessitant une investigation plus poussée, de tester rHev b 9 afin d’expliquer un CAP latex positif chez un sujet allergique aux moisissures mais négatif en TC pour le latex.
- Il en est de même, à un moindre degré, pour rHev b 10 qui est positif chez environ 10% des sujets allergiques aux moisissures [20].
On le voit, l’apport des allergènes recombinants pour le diagnostic est à nouveau souligné par les résultats de l’équipe Lyonnaise. Ce travail est actuellement poursuivi et ses auteurs vont, notamment, s’attacher à mieux préciser les profils de réactivité des sujets recrutés sur la base d’une allergie alimentaire.
La combinaison des progrès sur la connaissance des allergènes et d’études épidémiologiques comme celle ici présentée permettra de passer peu à peu à l’ère de l’allergologie moléculaire [21].