Depuis la description en 1911 par Noon et Freedman de la technique de la désensibilisation, la voie injectable a largement fait la preuve de son efficacité et de sa sécurité lorsque réalisée dans les règles. Les auteurs zurichois de ce travail tentent de démontrer l’intérêt d’une voie alternative celle de la voie épicutanée pour traiter des allergiques aux pollens de Graminées. Alors convaincant ?!
Administration de l’allergène par voie épicutanée, une nouvelle méthode d’immunothérapie spécifique. : Gabriela Senti, MDab, Nicole Graf, PhDb, Susanne Haug, MDa, Nadine Rüedi, MDa, Seraina von Moos, MDb, Theodor Sonderegger, PhDc, Pål Johansen, PhDa, Thomas M. Kündig, MDa
a Unit for Experimental Immunotherapy, University Hospital of Zurich, Zurich, Switzerland
b Clinical Trials Center, University Hospital of Zurich, Zurich, Switzerland
c Galenical Department, Cantonal Pharmacy, University Hospital and Canton of Zurich, Zurich, Switzerland
dans JACI Volume 124, Issue 5, Pages 997-1002 (November 2009)
– Contexte :
- L’immunothérapie spécifique par voie sous-cutanée est un traitement efficace de l’allergie IgE dépendante, mais cela nécessite des injections répétées d’extrait allergénique avec un risque de réactions allergiques systémiques.
- L’immunothérapie transcutanée pourrait améliorer l’observance du patient et la sécurité.
– Objectif :
- Evaluer l’innocuité et l’efficacité de l’immunothérapie allergénique épicutanée.
– Méthodes :
- Cet essai monocentrique, contrôlée, en double insu contre placebo a été mené de mars 2006 à décembre 2007 à l’Hôpital Universitaire de Zurich.
- Trente-sept patients adultes ayant des tests cutanés et des tests de provocation nasale positifs aux pollens de Graminées ont été randomisés pour recevoir soit des timbres adhésifs contenant les allergènes (n=21) ou un placebo (n=16).
- Le traitement a été effectué avant et pendant la saison pollinique 2006, et des visites de suivi ont eu lieu avant (n=26) et après la saison pollinique 2007 (n=30).
- Le principal outil de mesure des résultats était le test de provocation nasale.
– Résultats :
- Les patients traités par l’allergène ont montré significativement une réduction des scores lors du test de provocation nasale la première année (P<0,001) et la deuxième année (P=0,003) après traitement.
- En revanche, les patients ayant reçu le placebo ont eu une réduction des scores lors de la première année de traitement, 2006 (P=0,03), mais l’effet a diminué dans la deuxième année (P=0,53).
- Bien que l’amélioration des scores du test de provocation nasale n’a pas été significativement meilleure dans le groupe thérapeutique versus placebo, le succès global de traitement a été jugé nettement supérieur par le groupe traité que par le groupe placebo (2006, P=0,02 ; 2007, P=0,005).
- Pas d’événement indésirable grave observé.
- La survenue de l’eczéma après les applications du timbre adhésif imprégné de l’allergène démontre la stimulation des cellules T spécifiques, mais a été noté comme effet indésirable.
– Conclusion :
- L’immunothérapie allergénique épicutanée est une stratégie prometteuse pour traiter les allergies et mérite une enquête plus approfondie.
Qui croyait l’immunothérapie spécifique limitée à deux voies, l’injectable sous-cutanée et la sublinguale ?
Qui croyait que l’avenir de cette immunothérapie ne viendrait que de biotechnologies de haut vol comme l’utilisation d’allergoïdes, de recombinants ou autres molécules adjuvantes…
Cette nouvelle étude helvétique tente d’évaluer l’intérêt de l’immunothérapie par voie épicutanée.
Réussiront-ils à nous convaincre ?
Si certes depuis Noon et Freeman en 1911, l’immunothérapie spécifique a été très utilisées essentiellement par voie injectable –qui reste la référence d’ailleurs-, c’est seulement durant les deux ou trois dernières décennies que l’on connaît les mécanismes immunologiques qui président à son efficacité.
Bien sûr, parallèlement, de nombreuses études démontraient l’intérêt curatif et préventif dans l’asthme allergique (acariens, pollens et chat) mais aussi pour les rhinites polliniques.
L’ITS est aussi le seul moyen d’influencer favorablement l’évolution du cursus allergique ; à noter aussi que son effet persiste même après arrêt.
En préalable, les auteurs indiquent que si l’ITS injectable est efficace, il y a des risques de réactions systémiques.
Je trouve cet argument fallacieux.
Mon mémoire de capacitaire portait justement sur ce sujet, les réactions graves lors d’ITS injectable à propos de mon expérience.
Ce travail portait sur 15 000 injections sur douze ans (de 1980 à 1992), j’avais relevé deux réactions graves (une avec un rappel de pollens de Graminées et une autre avec un rappel d’acariens domestiques chez une asthmatique).
Plus récemment, une étude italienne publiée en 2004, à lire sur le site, portant sur 450 000 injections sur 20 ans, rapportaient des résultats comparables, aucune réaction fatale et quelques rares réactions sévères mais bien contrôlées dans le cadre de la surveillance ad hoc.
Ces deux études ont mis l’accent sur les facteurs de risque de réaction sévère lors de l’ITS :
- Les injections de pollens
- L’asthme
- Et les erreurs de concentration et autres erreurs relevant de l’irrespect du protocole.
Ainsi deux remarques, premièrement, dans des mains expertes l’ITS injectable n’est pas plus dangereuse que la voie sublinguale et deuxièmement les facteurs de risque sont bien identifiés.
Attention donc de ne pas mélanger les faits scientifiques avérés et les intérêts commerciaux.
L’intérêt d’une nouvelle voie comme la voie épicutanée est de contribuer à proposer différentes galéniques qui s’adapteront spécifiquement à chaque patient en fonction des ses capacités à surmonter les contraintes thérapeutiques pour aboutir in fine à la meilleure observance possible, clé de l’efficacité.
Dans cette étude, le test de référence pour mesurer l’efficacité du traitement était le test de provocation nasale spécifique.
C’est peut-être un peu court, nous connaissons à présent nombre de mécanismes d’action de l’ITS (activation des mastocytes, la libération de l’histamine, la synthèse des IgE, l’activation des éosinophiles, celle des lymphocytes T et le rôle des cellules présentatrices de l’antigène…), il était assez simple de choisir un marqueur type profil des interleukines par exemple.
Et puis le TPN n’est sans doute pas le moyen idéal.
L’exposition en chambre hermétique aux pollens paraît plus conforme, plus réaliste.
D’autant ici, qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes au niveau des résultats au TPN.
A noter ensuite la faiblesse de l’échantillon, 37 en tout.
Enfin, l’argument de la présence d’un eczéma au niveau de la zone cutanée d’application des timbres adhésifs comme témoignage de l’activation des cellules T spécifiques n’est que pure spéculation.
Voilà le type d’étude dont la lecture même des résultats devrait faire dire aux auteurs que pour le moment il n’y a aucun élément sérieux en faveur d’une efficacité de l’immunothérapie spécifique épicutanée.
Nous attendrons donc d’autres travaux plus consistants.