Faut-il s’abstenir de désensibiliser les cardiaques sévères ?

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Faut-il s’abstenir de désensibiliser les cardiaques sévères ?

Faut-il s’abstenir de désensibiliser les cardiaques sévères ?

jeudi 31 mars 2005, par Dr Philippe Carré

Les patients allergiques aux venins et qui ont une maladie cardio-vasculaire sévère ont un risque supplémentaire de gravité en cas de repiqûre. Or certains sont traités par des bêta-bloqueurs, qui peuvent eux-mêmes aggraver d’éventuelles réactions après piqûre spontanée ou au cours de l’immunothérapie. Qu’en est-il en pratique ?

Utilisation des bêta-bloqueurs au cours de l’immunothérapie dans l’allergie aux venins d’hyménoptères. : Ulrich R. Müller, MD
Gabrielle Haeberli, MD

From the Medical Department, Spital Bern Ziegler

dans JACI March 2005 • Volume 115 • Number 3

 Contexte

  • Les bêta-bloqueurs peuvent aggraver les réactions anaphylactiques et interférer avec le traitement.
  • Il y a donc problème pour leur utilisation chez les patients qui ont une histoire d’anaphylaxie ou qui sont sous immunothérapie (IT).
  • L’IT est le traitement de choix dans la prévention des réactions anaphylactiques graves aux piqûres d’hyménoptères, qui sont souvent observées chez des patients âgés qui ont une maladie cardio-vasculaire et qui sont sous traitement bêta-bloqueur.

 Objectif

  • Analyser le risque des bêta-bloqueurs au cours de l’IT aux venins.

 Méthodes

  • 1682 patients allergiques aux venins d’hyménoptères ont été analysés pendant une période de 34 mois, en fonction de l’IT, l’existence d’une maladie cardio-vasculaire et d’un traitement par bêta-bloqueurs.

 Résultats

  • Parmi les 1389 patients chez qui une IT était recommandée, 11.2% avaient une maladie cardio-vasculaire, et 44 d’entre eux étaient sous bêta-bloqueurs avant l’IT.
  • Chez 31 d’entre eux, le médicament a été remplacé avant le début de l’IT.
  • Chez trois patients avec une maladie coronarienne et un avec une arythmie ventriculaire sévère, le médicament a été poursuivi pendant l’IT.
  • Chez 9 patients, il a été réintroduit après avoir atteint la dose d’entretien.
  • Chez 12 patients supplémentaires, les bêta-bloqueurs ont été débutés pendant l’IT.
  • Des 25 patients sous bêta-bloqueurs pendant l’IT, 3 (12%) ont développé des effets secondaires allergiques, par rapport à 23 (16.7%) des 117 patients avec maladie cardio-vasculaire mais sans bêta-bloqueurs.
  • Des symptômes systémiques allergiques après réexposition, par piqûre provoquée ou piqûre spontanée, ont été observés chez 1 des 7 patient (14.3%) avec bêta-bloqueurs et 4 des 29 patients (13.8%) sans bêta-bloqueurs.
  • Aucune réaction sévère, pendant le traitement ou après réexposition, n’a été observée chez les patients avec bêta-bloqueurs.

 Conclusion

  • L’utilisation de bêta-bloqueurs au cours de l’IT aux venins d’hyménoptères peut être indiquée chez des patients très exposés ayant une maladie cardio-vasculaire sévère.

Dans une cohorte de 1389 patients ayant une indication d’IT aux venins, Müller et ses collègues se sont intéressés au sous-groupe des patients (11.2%) qui avaient une maladie cardio-vasculaire, et parmi eux à ceux (44) qui étaient sous bêta-bloqueurs, de façon à évaluer le risque de cette classe médicamenteuse.

Au total, après arrêt du traitement au préalable chez certains d’entre eux, 25 patients étaient sous bêta-bloqueurs pendant l’IT, et leur évolution sous traitement a été comparée aux 117 patients ayant aussi une maladie cardio-vasculaire sévère mais ne recevant pas de bêta-bloqueurs.

Au cours de l’IT, 12% des patients cardiaques recevant des bêta-bloqueurs ont présenté des effets secondaires allergiques, contre 16.7% de ceux ne recevant pas de bêta-bloqueurs.

Après repiqûre par un insecte, de façon spontanée ou provoquée, chez 36 des patients, 14.3% de ceux ayant des bêta-bloqueurs et 13.8% de ceux n’en n’ayant pas ont présenté des symptômes allergiques systémiques. Aucune de ces réactions n’a été sévère chez ceux qui étaient sous bêta-bloqueurs.

Müller conclut que chez des patients allergiques aux venins d’hyménoptères ayant une indication formelle d’IT, et étant par ailleurs porteurs d’une maladie cardiaque sévère nécessitant théoriquement l’utilisation de bêta-bloqueurs, l’IT peut être conduite.

Cet article intéressant apporte un élément supplémentaire dans le débat difficile de la conduite de l’IT chez les patients sous bêta-bloqueurs. Pour l’instant, il y a dans les consensus sur l’IT une contre-indication formelle chez les patients sous bêta-bloqueurs ; chez eux, les effets secondaires anaphylactiques du traitement peuvent être plus graves, et par ailleurs l’utilisation éventuelle de l’épinéphrine peut être moins efficace en cas de nécessité compte tenu du blocage des récepteurs bêta.

Il faut certainement distinguer les allergies peu sévères (quel que soit l’allergène), où la contre-indication doit rester formelle, des allergies sévères aux venins d’hyménoptères chez des patients cardiaques, le terrain cardiaque représentant un risque de gravité supplémentaire en cas de nouvelle piqûre ; dans ce cas, si le traitement par bêta-bloqueurs ne peut pas être interrompu en raison du risque cardiaque, l’indication de l’IT pourrait être discutée au cas par cas, après avis du cardiologue et information éclairée du patient sur les risques, tenant compte aussi du risque spontané de ne pas désensibiliser.

Cet article montre que dans cette série de 25 patients sous bêta-bloqueurs, ce traitement n’a pas entraîné plus de complications que chez les cardiaques qui n’en recevaient pas.

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