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Les sales gosses ne sifflent pas
lundi 19 mai 2025, par
Depuis environ 20 ans, plusieurs études ont mis en évidence les effets potentiellement néfastes des produits de nettoyage et de désinfection (DCPs — Disinfectants and Cleaning Products) sur les voies respiratoires, en particulier dans les milieux professionnels, hospitaliers ou domestiques. Toutefois, la plupart de ces études étaient transversales, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas tenu compte de l’évolution des expositions dans le temps, ni de la complexité des profils d’utilisation.L’étude SOLAR, menée en Allemagne, vient combler cette lacune en étudiant la relation entre l’usage à long terme des DCPs et la survenue d’asthme chez les jeunes adultes. Emilie Pacheco Da Silva, Orianne Dumas, Nicole Le Moual, Effects of household cleaning products on the lungs : an update, Expert Review of Respiratory Medicine, 10.1080/17476348.2025.2478968, 19, 4, (313-324), (2025).
Méthode
- Cohorte étudiée :
- Cette étude s’appuie sur les données de 1143 jeunes adultes (moyenne d’âge de 32 ans), suivis pendant près de 20 ans dans le cadre du programme SOLAR, qui prolonge la célèbre cohorte ISAAC en Allemagne (Munich et Dresde).
- Deux phases de collecte ont été menées pour estimer l’exposition hebdomadaire aux DCP : la première s’étendant de 2007 à 2009 (SOLAR 2) et la seconde de 2017 à 2018 (SOLAR 3), couvrant ainsi une période de dix ans.
- Produits évalués :
- Trois grandes catégories ont été analysées : les aérosols nettoyants, les aérosols désinfectants, et les méthodes de désinfection sans pulvérisation (lingettes, solutions liquides, etc.).
- On a défini l’utilisation hebdomadaire comme étant au moins une fois par semaine. Les autres fréquences (jamais ou moins d’une fois par semaine) ont été regroupées en tant qu’absence d’exposition.
- Environ 10 à 30 % des participants déclaraient utiliser le produit chaque semaine, selon le type.
- Méthode statistique :
- Une analyse en classes latentes (Latent Class Analysis, LCA) a permis d’identifier 5 profils d’exposition sur une période de 10 ans.
- Les associations avec l’asthme actuel et incident ont été évaluées par régressions logistiques multivariées ajustées sur les facteurs confondants : sexe, âge, tabagisme, niveau socio-économique, ville de résidence et antécédents parentaux.
Résultats
- Profils d’exposition identifiés :
- Pas d’exposition hebdomadaire (LC1 — 55 % des participants)
- Utilisation continue de sprays de nettoyage (LC2 : 12 %)
- Diminution progressive de l’utilisation des DCP (LC3 : 7 %)
- Usage croissant des DCPs (LC4 – 18 %)
- Utilisation répétée de plusieurs DCPs (LC5 — 8 %) Ce dernier groupe (LC5) est celui qui émet les signaux les plus inquiétants.
- Prévalence de l’asthme :
- Asthme actuel (asthme diagnostiqué + symptômes ou traitement dans les 12 derniers mois) : 7 %
- Sifflements respiratoires actuels : 10 %
- apparition d’un diagnostic d’asthme entre SOLAR 2 et SOLAR 3 : 3 %
- Incidents de sifflements : 5 %
Les taux les plus élevés étaient constatés chez le groupe LC5 : jusqu’à 11,4 % de cas actuels d’asthme et 16,7 % de sifflements.
- Association statistique :
- LC5 vs LC1 :
- OR pour asthme actuel = 1,68 [IC95 : 0,48–5,88]
- OR pour sifflements actuels = 1,71 [0,75–3,90]
- LC5 vs LC1 :
Bien que les résultats ne soient pas statistiquement significatifs (IC larges), ils suggèrent une tendance claire vers un risque accru. Aucun autre profil d’exposition n’a montré de manière cohérente un risque accru.
Discussion
- Éclairage épidémiologique : cette étude est l’une des rares à examiner l’effet à long terme et combiné de différents types de DCP sur l’asthme. Les données sur 10 ans renforcent la valeur prédictive des observations.
- Les femmes sont surreprésentées dans les groupes LC2 et LC5, ce qui montre que leur exposition aux produits de nettoyage est plus grande.
- Données détaillées supplémentaires :
- À SOLAR 2 (19-24 ans), 13,5 % des sujets utilisaient des sprays nettoyants au moins une fois par semaine. Chez les participants de SOLAR 3 (29-34 ans), la proportion est restée stable à 13,4 %.
- En revanche, l’usage des méthodes de désinfection non pulvérisées a fortement augmenté, passant de 16,6 % à 28,5 % en dix ans.
- L’utilisation des sprays désinfectants a augmenté, passant de 12,9 % à 20,4 %.
- Forces et limites :
- Cette étude se base sur des déclarations subjectives, ce qui laisse place à des biais de mémoire ou de déclaration.
- La fréquence d’utilisation ne permet pas de déterminer la dose réelle ni la composition chimique exacte des produits.
- L’analyse croisée avec le statut allergique (rhinoconjonctivite) et le sexe n’a pas pu être effectuée en raison d’un effectif insuffisant.
- Enfin, seuls les sujets présents aux deux phases ont été analysés (n = 1143/6399 initiaux), ce qui peut entraîner un biais de sélection.
Conclusion
Cette étude, bien qu’elle soit limitée par l’absence de résultats statistiquement significatifs, propose une interprétation novatrice du lien entre l’usage fréquent de produits désinfectants et l’asthme chez les jeunes adultes. Elle suggère que l’utilisation hebdomadaire répétée des DCPs pourrait accroître le risque d’asthme et de sifflements.
Les médecins allergologues doivent faire attention à ces expositions, qui sont parfois minimisées, au cours de l’enquête environnementale, notamment chez les jeunes adultes au début de leur carrière professionnelle ou lorsqu’ils emménagent dans un logement autonome.
Le message est clair : nettoyer trop souvent, c’est parfois nuire à sa santé respiratoire. Si les produits ménagers sont souvent perçus comme inoffensifs, l’accumulation d’exposition à différents types de désinfectants, sprays et lingettes n’est pas sans conséquence sur la muqueuse bronchique.
Pour les allergologues, cette étude souligne l’importance de poser des questions sur les habitudes de nettoyage et l’environnement de travail. Ils recommandent également d’utiliser des produits sans parfum, des solutions ménagères naturelles et de bien aérer. Cette étude renforce le rôle de l’allergologue en tant que gardien de l’environnement, capable de conseiller ses patients dans des choix quotidiens protecteurs. La recommandation de limiter l’utilisation des DCP, en particulier chez les sujets à risque atopique ou asthmatique, devrait désormais faire partie intégrante du discours de prévention.
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