Allergie aux anticancéreux : une reprise vite fait bien fait, mais pas pour tous

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Allergie aux anticancéreux : une reprise vite fait bien fait, mais pas pour tous

Allergie aux anticancéreux : une reprise vite fait bien fait, mais pas pour tous

lundi 20 octobre 2025, par Dr Philippe Auriol

La désensibilisation rapide (RDD) est devenue la stratégie de référence pour permettre la poursuite des chimiothérapies et biothérapies chez des patients ayant présenté une réaction d’hypersensibilité immédiate (IDHR). Si l’expertise est historique en Europe du Sud/États-Unis, l’Europe du Nord restait en retrait. Une équipe danoise rapporte la mise en place d’un programme structuré DPT (« drug provocation test ») + RDD avec protocoles « one-bag » (une seule poche), adapté aux contraintes locales (notamment sécurité environnementale), et en décrit l’efficacité, la sécurité et la logistique réelle (durées de séance). Implementation of Rapid Drug Desensitization in Antineoplastic Drug Therapy in Denmark Using One‐Bag Protocols by Trine Holm Rasmussen and al.

méthode

  • Étude observationnelle prospective (sur 28 mois) de patients adultes adressés après réaction d’hypersensibilité immédiate à un anticancéreux, évalués en centre d’allergologie en lien étroit avec oncologie/hématologie. Suivi jusqu’au terme du test de provocation médicamenteux (DPT) et/ou des cycles de RDD.
  • Phénotypage des réactions index (type 1 évocateur IgE, libération de cytokines, mixte, indéterminé) et gradation de sévérité (RCUH 1–4) pour stratifier le risque et orienter DPT vs RDD.
  • DPT selon recommandations EAACI ; reprise graduelle possible après réaction pendant DPT.
  • RDD « one-bag » : mêmes concentrations que l’AMM ; sets de perfusion amorcés au soluté de rinçage (non au médicament), pompes programmées ; plan d’escalade adapté par classe (taxanes, sels de platine, inhibiteurs de points de contrôle, etc.), avec des ajustements selon la cinétique des BTR (« breakthrough reactions »).
    • Exemple : réduction du « flush » initial de 20 mL à 16 mL pour les taxanes ; diminution des sauts posologiques finaux pour les sels de platine.
  • Prémédication : au minimum requis par l’AMM, antihistaminiques évités en routine (réservés au traitement des BTR) ; corticothérapie modulée ; omalizumab discuté après BTR sévère de phénotype type 1 à faible dose.

Résultats

  • Il y a eu 72 patients inclus (75 médicaments évalués). DPT : alternative sûre identifiée pour 5 médicaments ; HS immédiate infirmée pour 6 ; 1 arrêt après DPT positif.
  • RDD : 60 patients, 248 procédures initiées/247 achevées ; 8 patients sevrés secondairement vers infusion standard (p. ex. paclitaxel hebdo, ICP).
  • BTR : 53 % des patients et 27 % des RDD ; majoritairement légères à modérées ; aucun choc anaphylactique. Risque initial plus élevé puis décroissant sauf pour le phénotype type 1 (surtout platines).
  • Cinétique utile : sous taxanes, BTR précoces pendant le « flush » ; l’abaissement à 16 mL supprime ces BTR « de flush ». Sous platines, BTR tardifs atténués par la réduction des paliers finaux.
  • Durées réelles : < 6 h dans 96 % des RDD (2,5–7,5 h), permettant une prise en charge « ambulatoire de jour ».

Discussion

  • Le modèle « one-bag » sans amorçage au médicament est faisable et sûr, au prix d’un calibrage fin du volume de « flush » initial.
  • Le phénotypage clinique (hyper sensibilté de type 1 versus activation cytokinique) prédit le profil et la persistance des BTR ; il constitue un outil de tri efficace quand les tests cutanés sont impossibles/peu contributifs (chimios).
  • Éviter les antihistaminiques en prémédication facilite la détection précoce de BTR mineures, prévenant des formes plus sévères (philosophie « see and treat » pendant RDD).
  • Les ajustements par classe (taxanes/platines/ICP) et la standardisation des plans de réduction de durée après RDD indemnes constituent un levier organisationnel majeur pour les hôpitaux de jour.

Conclusion

  • Le Programme DPT + RDD « one-bag » permet la poursuite des traitements oncologiques malgré IDHR, avec BTR contrôlables et des durées compatibles avec l’ambulatoire.
  • Limites : absence de tests cutanés aux chimios (contraintes locales) et de biomarqueurs per-BTR ; néanmoins, la valeur ajoutée clinique du phénotypage cinétique est démontrée.
  • Perspectives : affiner les volumes de « flush » selon set de perfusion/médicament, formaliser des algorithmes d’escalade par phénotype, préciser la place d’omalizumab adjuvant dans les phénotypes type 1 « à bas seuil ».

Ce travail danois illustre une maturation des rush "one bag" en allergie médicamenteuse ici en cancérologie : nous ne sommes plus dans la simple transposition de protocoles « 3-bags », mais dans une ingénierie des flux adaptée aux contraintes réelles (pharmacie, pompes, législation, exposition environnementale). Pour l’allergologue, deux messages pratiques dominent. D’abord, le phénotypage clinique initial n’est pas anecdotique : il anticipe la fréquence des réactions cliniques (BTR), donc la nécessité d’un plan d’escalade plus conservateur (platines/type 1) versus une accélération graduée chez les profils « cytokiniques ». Ensuite, la cinétique des BTR est un outil de réglage : l’abolition des BTR liés au « flush » taxanes après réduction à 16 ml démontre que quelques millilitres changent la donne organisationnelle et la sécurité ressentie par les équipes. Dans nos pratiques francophones, ces données confortent l’implantation en hôpital de jour allergologique, en partenariat serré avec l’oncologie et la pharmacie clinique, avec prémédication minimaliste, l’usage des antihistaminiques en traitement et non en prévention, et des trajectoires de sevrage vers la reprise standard quand l’oncologie l’autorise (paclitaxel hebdo, ICP). Reste à documenter l’intérêt d’adjuvants ciblés (omalizumab) chez les phénotypes à bas seuil.

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