Place du local en allergologie : la rhinite sans allergie est parfois allergique et il faut alors faire une désensibilisation

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Place du local en allergologie : la rhinite sans allergie est parfois allergique et il faut alors faire une désensibilisation

Place du local en allergologie : la rhinite sans allergie est parfois allergique et il faut alors faire une désensibilisation

jeudi 4 décembre 2025, par Dr Philippe Auriol

La rhinite allergique locale (LAR) correspond à ce que l’on appelle communément une « rhinite allergique » qui coche toutes les cases cliniques… mais avec des prick-tests et des IgE spécifiques sérum parfaitement négatifs, tandis qu’un test de provocation nasale positif, montrant une inflammation IgE-dépendante strictement locale. On estime que la LAR touche environ 20 % des cas de rhinites chroniques « non atopiques ». Elle a tendance à s’aggraver au fil du temps, augmentant ainsi le risque de développer de l’asthme.

Des études randomisées ont démontré l’efficacité de l’immunothérapie allergénique (AIT) chez des patients atteints de LAR, que ce soit pour les acariens voir plus – Définition ou pour les graminées. Cependant, cette efficacité n’est observée que pendant la durée du traitement. La question cruciale était de savoir ce qui se passe dix ans plus tard. C’est précisément ce que l’étude de Testera-Montes et coll. a cherché à découvrir en comparant les résultats à long terme de l’AIT chez des patients LAR répondants à une cohorte témoin de patients LAR non traités.
Long-Term Effect of Allergen Immunotherapy in ResponderLocal Allergic Rhinitis Patients : Symptom Control, andPrevention of Asthma and Allergic SensitizationsAlmudena Testera-Montes and al.

Méthode

  • Type d’étude
    Cohorte prospective appariée et enrichie en répondants, avec une période de suivi de 10 ans, comprenant une phase de trois ans de thérapie immunologique par voie sous-cutanée, suivie d’une période de sept ans sans traitement. 
  • Population
    66 patients adultes LAR (rhinite chronique, prick-tests et IgE sérum négatifs, mais test de provocation nasale positif) :
    • 32 patients ayant reçu AIT (cohorte AIT)
    • 34 patients LAR refusant l’AIT, suivis comme témoins (cohorte non-AIT)

Appariement en fonction de l’âge, du sexe et de l’allergène (graminées Phleum pratense ou acariens Dermatophagoides pteronyssinus).

  • Intervention
    Utilisation de SCIT (sous-cutané) avec des extraits standardisés de pollen voir plus – Définition de graminées ou d’acariens, suite à des essais aléatoires en double aveugle la première année, puis poursuite de l’AIT (administration d’immunothérapie spécifique) pendant trois ans chez les personnes répondant positivement.
  • Critères principaux
    • Score de symptômes rhino-oculaires sur une échelle visuelle analogique (VAS 0–100 mm).
    • Utilisation de traitements de secours (antihistaminiques, corticoïdes nasaux).
    • Nombre de jours sans médicament (Medication-Free Days, MFD).
  • Critères secondaires
    • L’incidence de l’asthme, le contrôle (ACT) et la VEMS (FEV1).
    • Qualité de vie (Rhinitis Quality of Life Questionnaire, RQLQ).
    • Visites aux urgences pour exacerbation respiratoire.
    • Découvertes de nouvelles sensibilisations locales, détectées par test de provocation nasale multi-allergénique (NAC-M).
    • Rétablissement complet, tant sur le plan clinique qu’immunologique (contrôle des symptômes, test nasal négatif et normalisation des paramètres).
  • Rappels
    • LAR : rhume caractérisé par des symptômes spécifiques, associé à un test de provocation nasale positif, malgré des résultats négatifs pour les tests cutanés et IgE sanguins.
    • Nasal Allergen Challenge ou test de provocation nasal (NAC) : instillation nasale d’allergène (en mono- ou multi-allergènes : NAC-S, NAC-M) avec évaluation symptomatique et objective (rhinomanométrie ou rhinométrie acoustique).
    • VAS : réglette 0–100 mm où le patient place son niveau de gêne globale. Un gain ≥ 23 mm est considéré comme cliniquement pertinent (MCID).
    • RQLQ, ACT, FEV1 : scores et mesures standardisés utilisés dans la rhinite et l’asthme (GINA, ARIA).

Pour en savoir davantage au sujet de ces outils, vous pouvez consulter les fiches méthodologiques de l’EAACI ou encore les recommandations de la SFORL.

Résultats

  • Amélioration durable des symptômes
    À 10 ans, la médiane du VAS est de 0 (0-40) dans le groupe AIT et de 68 (31-95) dans le groupe non-AIT, avec une différence de −68 mm et une très forte taille d’effet (r −0,86). La diminution du VAS est significative dès la 1ʳᵉ année et se maintient sur tout le suivi.
  • Moins de médicaments (MFD), plus de jours « libres »
    Les patients AIT cumulent significativement plus de jours sans traitement (MFD) dès la 3ᵉ année, avec une médiane de 30 jours/mois à 10 ans contre 0 dans le groupe non-AIT. Près de 70 % des patients AIT ne prennent plus aucun traitement de rhinite à 10 ans, contre 0 % dans le groupe non traité.
  • Prévention de l’asthme
    Un asthme est diagnostiqué chez 40,7 % des patients LAR non-AIT, contre seulement 8 % des patients AIT (p = 0,021), ce qui correspond à un risque multiplié par environ 5 en l’absence d’immunothérapie. Le contrôle de l’asthme et le recours aux urgences sont également meilleurs dans le groupe AIT.
  • Fonction respiratoire et « one airway »
    Le VEMS (FEV1) progresse dans le groupe AIT et diminue dans le groupe non-AIT, indépendamment du statut d’asthmatique, ce qui illustre le continuum des voies aériennes supérieures/inférieures.
    –* Prévention de nouvelles sensibilisations
    Des sensibilisations locales inédites ont été détectées chez 38,2 % des patients non-AIT, comparativement à 6,3 % de ceux atteints d’AIT. La différence est particulièrement nette pour Alternaria alternata (0 % vs 17,6 %).
  • Rémission
    À 10 ans, la rémission clinique est obtenue chez 59,4 % des patients atteints de l’AIT, la rémission immunologique chez 65,6 %, et la rémission complète chez 59,4 %, tous avec un test nasal négatif. Aucun patient du groupe non-AIT n’atteint la rémission.

Discussion

Cette étude longitudinale démontre que, chez des patients LAR répondeurs ne se contente pas de soulager la saison : elle modifie l’histoire naturelle de la maladie, avec un bénéfice maintenu 7 ans après l’arrêt, sur les symptômes, la qualité de vie, le contrôle de l’asthme et les nouvelles sensibilisations.

Le profil immunologique (pic transitoire d’IgG4 à 1 an, puis retour à la ligne de base, tolérance nasale accrue et négativation de la provocation) est conforme aux modèles actuels de tolérance induite par l’AIT (rôle des T régulateurs, IL-10, possible « trained immunity » des cellules épithéliales et présentatrices d’antigènes).

Le message pratique est fort : LAR n’est pas une « rhinite non allergique » anodine ; chez les répondeurs, trois ans de SCIT peut prévenir l’escalade vers l’asthme, rejoignant les données historiques de modification de maladie de l’AIT dans la rhinite allergique classique.

Limites : absence de randomisation du groupe témoin, inclusion uniquement de répondeurs à 1 an, monocentrique, taille modeste et variables socio-économiques ou d’observance imparfaitement contrôlées. Mais la cohérence des effets sur tous les critères cliniques et immunologiques renforce la robustesse des conclusions.

Conclusion

  • Pour un patient atteint de LAR ayant bénéficié d’une première année d’AIT, cette étude suggère de considérer une thérapie de remplacement de trois ans. Elle met en évidence les avantages à long terme, tels que la réduction des symptômes, du nombre de traitements nécessaires, de l’asthme et du risque de nouvelles réactions allergiques.
  • Ces données prolongent les études précédentes publiées sur allergique.org à propos de l’immunothérapie allergénique et de la désensibilisation : l’objectif n’est pas seulement de « calmer une saison », mais de réorienter la trajectoire allergique du patient. Le lecteur pourra relire à ce sujet nos dossiers accessibles via :

Il reste à étudier : la différence entre SCIT et SLIT dans le LAR, l’extension aux formes pédiatriques, la détection de biomarqueurs prédictifs de rémission, et le rôle respectif de l’AIT et des biothérapies dans les formes sévères combinant LAR, polypose nasale et asthme de type 2.


La rhinite allergique locale (LAR) longtemps reléguée au rayon des curiosités (« rhinite non allergique mais quand même un peu allergique »), s’impose peu à peu comme un vrai phénotype à part entière. Ce travail malaguène nous rappelle que ces patients ne sont pas des « faux allergiques » : ils font des symptômes, ils font de l’asthme et réagissent à de nouveaux allergènes… et ils répondent à l’immunothérapie comme les autres, avec à la clé une rémission durable pour près de deux tiers d’entre eux.

Selon l’allergologue praticien, le message est clair : si l’histoire et le test de provocation nasale indiquent une allergie aux acariens voir plus – Définition ou aux graminées, il ne faut pas se décourager si les prick-tests sont négatifs. Ce sont justement ces patients qui pourraient tirer le meilleur profit d’un programme de trois ans d’AIT, à condition d’être bien choisis, bien informés, et suivis sur une longue période. La possibilité de prévenir l’asthme ne se limite plus aux « beaux atopiques » stéréotypiques : elle s’étend maintenant à cette zone grise du test cutané.

Cette étude apporte une nouvelle preuve à l’appui à notre opinion clinique déjà bien établie sur l’immunothérapie allergénique et la désensibilisation. Cette étude de dix ans de recul confirme notre intuition et renforce notre conviction sur le sujet.

Il y a toutefois un problème de taille : le diagnostic repose sur le test de provocation nasal et aucun test de provocatio nasal n’est commercialisé en France à l’heure où ces lignes sont écrites. Ils sont commercialisés dans d’autres pays d’Europe mais pas en France. Belle perte de chance pour nos patients français…

Et pour être tout à fait honnête, j’ajouterai que peu d’allergologues sont équipés de rhinomanomètres ou de rhinomètres acoustiques mais c’est probablement la conséquence du premier point…

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