Podcast : tout savoir sur les IgE, les anticorps de l’allergie, responsables de l’anaphylaxie

lundi 1er septembre 2025 par Dr Philippe Auriol30 visites

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Podcast : tout savoir sur les IgE, les anticorps de l’allergie, responsables de l’anaphylaxie

Podcast : tout savoir sur les IgE, les anticorps de l’allergie, responsables de l’anaphylaxie

lundi 1er septembre 2025, par Dr Philippe Auriol

Aujourd’hui nous allons parler des anticorps de l’allergie la fameuse IgE qui fait disjoncter votre immunité

Les anticorps : une vieille invention du vivant

Vous connaissez ces minuscules soldats qui patrouillent dans votre corps à la recherche d’ennemis invisibles : les anticorps. C’est une grand famille de protéines essentielle à la maintenance de votre intégrité. Alors commençons par quelques rappels.

  • Les immunoglobulines, ou anticorps, c’est la même chose, sont des glycoprotéines en forme de Y.

Ils se fixent sur une partie de l’antigène par leurs bras du Y, et s’attachent à des récepteurs par la tige du Y.

Ils sont apparus chez les vertébrés à mâchoires, il y a 500 millions d’années, également appelés gnathostomes. Ce sont les poissons cartilagineux comme les requins et les raies. Comme ce sont nos ancêtres, nous en avons hérité.

Chez les agnathes, les poissons sans mâchoire (comme la lamproie) , la nature a trouvé une solution alternative. Elle a mis en place un système immunitaire adaptatif parallèle, basé sur des récepteurs « VLR » (Variable Lymphocyte Receptors) qui ne sont pas des anticorps mais assurent un rôle équivalent : reconnaissance spécifique, mémoire immunitaire, diversité. Peu importe le chemin, la nature trouve toujours des solutions.

  • Avant les anticorps, il y avait déjà l’immunité innée, partagée par les invertébrés, les plantes, et même les bactéries. Des cellules qui savent taper sur tout ce qui bouge, assez peu spécifiques (même si cette vision tant à se nuancer). Les anticorps s’y sont ajouté : la nature ne jette pas, elle ajoute.
  • Nous avions également hérité de nos ancêtres procaryotes des systèmes comme CRISPR, ComFc, et autres protéines anti-infectieuses qui sont actuellement très étudiés et sont les ancêtres bactériens de notre défense immunitaire.
  • Après les anticorps, l’évolution a continué à inventer avec par exemple le complément, un système enzymatique de défense qui s’active souvent en complément des anticorps (IgG ou IgM).

Mais revenons aux anticorps. Ces immunoglobulines sont toutes en forme de Y, on l’a vu. Avec une partie fixe, constante qu’on appelle le Fc et deux branches variables qu’on appelle les Fab. Ces deux bras, les Fab, servent à attraper l’ennemi tandis que la queue (le fc) se fixe sur les récepteurs adéquats pour activer le reste du système immunitaire.

Mais il viennent d’où ces anticorps ?

Ils sont produits par les lymphocytes B, qui, ayant été activés, sont devenus des plasmocytes. Cette transformation d’un lymphocyte B en usine de production massive d’armement se fait quand un autre lymphocyte, qu’on appelle le T helper, vient lui donner les consignes.

Il l’attrape par ses récepteurs CD40 et le stimule un bon coup avec de l’IL4. Le lymphocytes B part fissa en périphérie d’un ganglion et là, il s’active comme un fou pour produire ses anticorps en masse.

Parallèlement, certains lymphocytes B, au lieu de devenir des plasmocytes, prennent un autre chemin : ils deviennent des cellules mémoire. Ils gardent leur super-capteur en mémoire, prêts à réagir beaucoup plus vite si le même ennemi revient

Ok, mais il le choisit comment le lymphocyte B spécifique d’antigène ?

En fait l’histoire commence avant même la rencontre avec l’antigène. Vous fabriquez, dès tout petit, des lymphocytes B avec des IgM et des IgD spécifiques d’une immensité de possibilité d’antigènes. Un stock de motifs antigéniques extrêmement grand qui sera challengé, sélectionné et stimulé par vos rencontres antigéniques.

La diversité des anticorps est immense grâce à un mécanisme de découpe-recollage génétique (appelé VDJ) sur les chromosomes 14 (chaîne lourde), 2 et 22 (chaînes légères kappa et lambda).

Pour faire de la diversité, dans le lymphocyte B, une partie de l’ADN est réservée aux gènes des anticorps. Mais ces gènes ne sont pas entiers : ce sont des morceaux séparés, comme des briques de Lego® à assembler.

Le lymphocyte B dispose de trois types de briques pour la chaîne lourde : V (Variable) – 40 segments, D (Diversity) – 25 segments, J (Joining) – 6 segments

Le lymphocyte B va en choisir un de chaque au hasard et les recoller ensemble : 1 V + 1 D + 1 J pour créer le gène qui fabriquera la partie variable de la chaîne lourde de l’anticorps.

Pour la chaîne légère, il n’y a que V et J (pas de D). Avec environ 35 V et 5 J pour chaque type de chaîne légère (κ ou λ).

Vous pensez que c’est assez compliqué comme ça ? La nature fait mieux.

Ces arrangements aléatoires ne sont que la partie initiale de la diversité car, en plus, lors de l’assemblage, des enzymes ajoutent ou enlèvent des nucléotides de manière aléatoire. Sympa hein ?

Il existe cinq grandes classes d’anticorps, on ne parlera pas des sous classes :

  • IgM (les premiers à apparaître, ils sont détectables chez l’humain à partir de 12-13 semaines de gestation),
  • IgD (récepteurs de membrane),
  • IgG (les plus abondants),
  • IgA (gardiennes des muqueuses),
  • et l’IgE, notre star du jour.

Chaque classe est définie par la nature de sa chaîne lourde : µ pour IgM, γ pour IgG, α pour IgA, δ pour IgD, ε pour IgE.

Au départ vous avez des IgM et des IgD sur vos lymphocytes, puis ceux-ci rencontrent des antigènes et vont changer de type d’anticoprs produit selon la stimulation : c’est le switch ou commutation.

Cette fameuse commutation isotypique – le “switch” d’une classe d’anticorps à une autre – se fait au niveau du locus IGH sur le chromosome 14. Les cytokines, en particulier l’interleukine 4 (IL-4) pour l’allergie, dictent le passage d’une classe à une autre. Le système immunitaire choisit ainsi la bonne munition contre chaque menace. Les lymphocytes helper qui produisent surtout de l’IL-4, qui vont donc induire la fabrication des IgE sont appelés Th2 pour helper de type 2. Vous avez surement lu sur allergique.org les asthme de type « 2 » : ça veut dire dont l’inflammation semble régulée par des lymphocytes T helper 2.

Pour la quantité produite, un adulte fabrique environ 3 grammes d’anticorps par kilo et par jour. Parmi eux, les IgE ne représentent qu’un millième ! Mais ce millième peut déclencher un tsunami…

Je résume : dans l’utérus à la 12e semaine vous avez des lymphocytes B avec des IgM et des IgD qui couvrent un panel immense de motifs antigéniques possibles. Vos lymphocytes T helper viennent présenter tout ce qu’ils trouvent en antigène aux lymphocytes B qui sont en banlieue ganglionnaire et leur indiquent quel type d’anticorps est adapté pour cet antigène. Le lymphocyte B s’excite, change de niveau en devenant un plasmocyte et produit en masse des IgE qu’il balance dans le sérum. Certains lymphocytes B préfèrent devenir des lymphocytes mémoire spécifiques de cet antigène, facilement réactivables à la demande.

L’IgE : la diva capricieuse de l’immunité

L’IgE est l’anticorps des réactions allergiques immédiates. C’est elle qui déclenche rhinites, urticaires, crises d’asthme, voire chocs anaphylactiques. Pourtant, sa fonction originelle est autre : défendre contre les vers parasites, notamment les helminthes. On est loin de l’allergie…

Le récepteur de forte affinité : FcεRI
Sa structure est classique – deux chaînes lourdes epsilon, deux chaînes légères kappa ou lambda – mais sa particularité, c’est son extrême attirance pour un récepteur bien particulier : le FcεRI.

Ce récepteur FcεRI est surtout présent à la surface des mastocytes et des basophiles. Une fois une IgE fixée, elle y reste des semaines voire des mois.

Si deux IgE spécifiques du même allergène sont réunies par cet allergène, le mastocyte s’active et libère : histamine, tryptase, héparine puis synthétise rapidement du PAF, des leucotriènes, des prostaglandines, et de nombreuses interleukines (4, 5, 6, 8, 13).

Tout cet arsenal est libéré dans les tissus immédiatement et dans un deuxième temps. C’est la réaction d’allergie avec sa phase initiale et sa phase retardée.

Le récepteur de faible affinité : FcεRII
Il existe aussi un récepteur à faible affinité (il fixe moins bien les IgE), le FcεRII (également appelé CD23). Il est présent sur les lymphocytes B et sur certaines cellules épithéliales. Il joue un rôle plus subtil de modulation de la réponse immunitaire, de transport et présentation d’antigène.

Les IgE sont rares dans le sang (environ 0,01 à 0,05 mg/L), mais très présentes dans les tissus où résident les mastocytes soit la peau et les muqueuses). Elles ont une demi-vie circulante courte (2,5 jours), mais une grande longévité une fois fixée sur leur récepteur cellulaire.

Attention : les IgE sont étrangement fabriquées

Elle se fait de deux manières.

  • Il y a les IgE issues d’un switch direct depuis les IgM, elles sont souvent peu mutées et de faible affinité ce ne sont en fait que 10 à 20% des IgE. Je rappelle : le lymphocyte B, il commence avec des IgM en stock. Le lymphocyte T helper lui ordonne de se transformer alors il file dans les ganglions et selon les instructions qu’il a reçu, il fabrique des anticorps du type demandé. Avec de l’interleukine 4, il fait plutôt des IgE, ça tombe bien.
  • Et il y a les IgE issues d’un switch indirect – via les IgG1 ou les IgA – qui sont hautement mutées, très spécifiques, très actives. Elles représentent 80% des IgE. L’étude de Looney et al. (2016) a changé notre vision de l’immunologie classique. Car cette fois c’est un lymphocyte qui fabriquait déjà des anticorps de type A ou G1 (oui parce que dans les IgG il y a des sous type aussi mais soyons simple) qui va muter pour produire des IgE mais ses IgE à lui sont bien plus expérimentées, bien plus actives.

Voilà, le lymphocyte B qui faisait déjà des IgM (qui marchent sur tout mais pas très bien) ou des IgA/G1(déjà bien efficaces sur l’antigène) s’est vu ordonné par un lymphocyte T helper qui l’a baigné d’interleukine 4 de fabriquer des IgE. Il a filé dans le ganglion et s’est mis au boulot. Certains lymphocytes B plus carriéristes, préférant devenir des lymphocytes mémoire parce que c’est un poste d’avenir.

Les tests biologiques : IgE et IgG4, démêlons le vrai du faux

En allergologie, le dosage des IgE est une boussole précieuse, mais il faut savoir la lire.

  • Les IgE totales, donnent une idée générale de l’activation Th2. Mais elles manquent de spécificité : une parasitose peut faire monter les IgE, un allergique sévère peut en avoir peu. Alors si on vous dit que vous êtes très allergique parce que vous avez beaucoup d’IgE : c’est faux. Ce serait trop simple.
  • Viennent ensuite les tests multiallergéniques (Phadiatop®, Trophatop®), qui agissent comme des détecteurs de fumée : présence ou absence d’une sensibilisation respiratoire ou alimentaire. Ils servent à se convaincre de l’intérêt d’un bilan allergologique quand on n’est pas convaincu. ils ont aussi leurs faux positifs et faux négatifs bien sûr, ce ne sont que des tests…
  • Puis les IgE spécifiques, dirigées contre une source allergénique (le chat) ou contre un composant moléculaire précis (par ex : Fel d1). Ces anticorps sont une aide bien plus précieuse car ils permettent de déterminer des profils d’allergie comme nous l’avons vu dans les épisodes précédents.
  • Enfin, les puces multi-allergéniques, moléculaires ou mixtes (ISAC, ALEX2) permettent d’analyser simultanément des dizaines d’allergènes. On entre dans le monde de la “component resolved diagnosis”. Ces puces sont d’autant plus utiles que les profils de réactivité croisée sont complexes : trop souvent, une réaction au kiwi n’est qu’un effet secondaire d’une sensibilisation à un autre allergène (acarien, bouleau, moisissure…).

Et puis, il y a les dérives : les tests IgG4 vendus comme des tests d’intolérance alimentaire. Malheureusement c’importe quoi.

Les sociétés savantes sont unanimes : ils n’ont aucune validité scientifique. L’EAACI, la SFA, la WAO, l’Académie de Médecine… toutes dénoncent l’inutilité de ces dosages qui n’ont pas de réelle signification immunitaire.

D’autant plus qu’ils vous sont vendus comme des tests d’intolérance alors que dans l’allergie à l’arachide ou au venin d’hyménoptère le dosage des IgG4 témoigne d’une acquisition de tolérance immunitaire et pas d’une intolérance. C’est vraiment n’importe quoi ces tests à IgG4…

Les vendre comme indicateurs d’intolérance, c’est une escroquerie intellectuelle.

Et on peut pas les bloquer ces IgE ?

Quand les IgE s’emballent et que les traitements habituels ne suffisent plus, on sort l’artillerie lourde : les biothérapies.

  • Les anti IgE :
    • L’omalizumab (Xolair®) est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre les IgE libres (souvenez vous que la majorité est fixée). Il empêche leur fixation sur le récepteur FcεRI, diminue l’expression de ce récepteur, réduit la dégranulation mastocytaire. Ses Indications en France sont l’asthme allergique sévère, l’urticaire chronique, la polypose nasale… La FDA l’autorise dans l’allergie alimentaire sévère.
    • Le ligelizumab, cousin plus jeune avec une meilleure affinité pour le récepteur à IgE, promet des effets plus puissants, notamment dans l’urticaire. Il est encore en cours de développement clinique.
  • Les anti fabrication d’IgE :
    • Comme les inhibiteurs d’IL-4 et IL-13, le dupilumab, qui en bloquant le récepteur commun (IL-4Rα), freine la commutation isotypique vers les IgE. Ces traitements sont actifs dans la dermatite atopique, l’asthme éosinophilique, la polypose nasale.
    • D’autres cibles sont à l’étude : sur les initiateurs du signal d’inflammation : IL-33, TSLP, ou encore sur l’inflammation T2 chronique avec l’IL-5…

Bref, l’arsenal thérapeutique des allergologues s’étoffe. On ne se contente plus d’éteindre l’incendie, on neutralise l’allumette !

En conclusion,

  • Les IgE sont les anticorps de l’allergie. Ils appartiennent à la grande famille des immunoglobulines et servent initialement à la défense contre les parasites.
  • Ces anticorps sont fabriqués sur demande de lymphocytes helper par des lymphocytes B qui vont en profiter pour créer une mémoire immunitaire de l’épisode.
  • Il y a différents dosages biologiques possibles des IgE, tous n’ont pas le même intérêt.
  • Nous savons fabriquer des médicaments anti-IgE mais aussi des anti récepteur d’IL-4 et cela change la vie des allergiques sévères.

Lors du prochain épisode, nous parlerons de l’eczéma de contact.


L’IgE : la clé qui fait disjoncter votre immunité !

Si les anticorps sont les sentinelles de notre système immunitaire, alors les IgE en sont les détecteurs de fumée… un peu trop sensibles. À peine un grain de pollen ou une trace d’arachide, et c’est l’alerte rouge : dégranulation, histamine, démangeaisons, éternuements, voire anaphylaxie. Mais d’où viennent ces immunoglobulines E ? À quoi servent-elles vraiment ? Et pourquoi s’acharnent-elles sur nos acariens de salon comme s’ils étaient des envahisseurs interstellaires ?

Dans cet épisode d’Atchoum, le podcast des allergies, nous vous invitons à un voyage dans la vie mouvementée des anticorps. Vous découvrirez comment notre ADN code leur diversité, comment les cytokines les orientent vers un destin particulier, et comment certaines IgE deviennent de véritables snipers allergiques. Puis nous vous guiderons dans la jungle des dosages biologiques : IgE totales, tests multiallergéniques, composants moléculaires, puces de dernière génération…

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