Les patients et les médecins adorent les outils numériques mais ils n’en parlent pas entre eux : expérience Italienne médecins-patients sur les innovations numériques dans l’asthme

jeudi 27 novembre 2025 par Dr Philippe Auriol18 visites

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Les patients et les médecins adorent les outils numériques mais ils n’en parlent pas entre eux : expérience Italienne médecins-patients sur les innovations numériques dans l’asthme

Les patients et les médecins adorent les outils numériques mais ils n’en parlent pas entre eux : expérience Italienne médecins-patients sur les innovations numériques dans l’asthme

jeudi 27 novembre 2025, par Dr Philippe Auriol

Les smartphones dans les poches, les dispositifs de traitement connectés sur la table, et les consultations en ligne à portée de clic : la promesse est alléchante pour un contrôle plus efficace, un engagement accru et une personnalisation accrue de l’asthme. Cependant, il y a souvent un écart entre l’enthousiasme initial et la réalité de l’utilisation. Une équipe italienne (réseau SANI) a cherché à mesurer ce décalage en interrogeant des patients et des spécialistes, dans le but de déterminer les leviers et les obstacles à l’adoption de la santé connectée dans l’asthme. Digital Innovation in Asthma Management in Italy:Results From the “Confronting Asthma Survey” by Manuela Latorre and al. in Clinical and Translational Allergy, 2025 ; 00:e70109

Méthode

  • Enquête nationale transversale anonyme menée auprès de deux groupes : des adultes asthmatiques et des spécialistes en pneumologie et allergologie. Deux questionnaires structurés (34 items chacun) ont été utilisés.
  • La collecte et la gestion des données ont été effectuées sous REDCap, sous la supervision de SANI. Analyses descriptives et comparatives (χ², p<0,05).
  • L’échantillon se composait de 134 patients et de 180 médecins, avec une représentation équitable des trois régions italiennes.
  • Objectifs : usages et attitudes (« digital mindset »), outils recommandés, pratiques de téléconsultation, perception des inhalateurs intelligents (smart inhalers) et des thérapies numériques (DTx), obstacles perçus.

Définitions utiles

Voici quelques termes liés à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le domaine de la santé :

  • e-santé (eHealth) : utilisation des TIC dans le domaine de la santé [OMS : https://iris.who.int/handle/10665/276430].
  • Téléconsultation : soins médicaux à distance, intégrés au dossier médical et remboursés par les régimes nationaux ou de l’Union européenne.
  • Inhalateur connecté : dispositif qui enregistre l’utilisation et la technique d’inhalation, et qui est synchronisé avec un smartphone.
  • Thérapies numériques (DTx) : interventions thérapeutiques délivrées par le biais de logiciels validés.
  • REDCap : Plateforme web sécurisée de saisie de données cliniques REDCap.

Résultats

  • Il y a une appétence numérique élevée : 85 % des médecins et 74,4 % des patients se disent utilisateurs numériques
  • L’utilisation personnelle existe… mais le conseil médical est rare : 85,6 % des patients utilisent des outils numériques au quotidien. Pourtant, 91,5 % n’ont jamais reçu de recommandation d’application ou de site pour l’asthme de leur médecin. (tss tss, même pas allergique.org ? tout se perd)
  • Avantages pour les cliniciens : suivi autonome des symptômes (17,2 %), amélioration de l’observance (22,7 %), optimisation des interventions (11,7 %). Freins majeurs : conformité IT (62,5 %), risques médico-légaux (11,5 %), fiabilité jugée moindre des données à distance (40,6 %).
  • Téléconsultation : 91,9 % des patients ne l’utilisent pas, le plus souvent faute d’offre par le soignant (80 %).
  • Inhalateurs connectés : 41,1 % des patients en ont entendu parler, mais seulement 5,4 % les utilisent. Les médecins ont de grandes attentes en matière d’adhérence (71,5 %) et de technique d’inhalation (60,8 %).
  • DTx : 59,9 % des cliniciens et 66,8 % des patients reconnaissent un déficit de connaissances.

Discussion

  • Un paradoxe de l’adoption : l’ouverture d’esprit est présente, mais l’intégration clinique est faible ; l’avis du médecin est décisif pour que le patient utilise la technologie.
  • Les freins sont à la fois structurels (interopérabilité, conformité RGPD, responsabilités) que culturels (fiabilité perçue des données). Des cadres structurants existent pourtant (plateforme nationale de télé-médecine, EHR 2.0, EHDS européen).
  • Équité : attention au « non-recours » numérique (équipement, compétences). Les programmes d’éducation des patients et accompagnement par les associations ont été reconnus comme des leviers identifiés.

Conclusion

Cette photographie italienne montre le vaste potentiel des applications, des inhalateurs connectés et des télésoins pour améliorer le contrôle et l’adhérence, mais elle montre aussi un vrai besoin d’orchestration clinique avec des recommandations médicales explicites, choix d’outils validés, intégration au dossier, clarification médico-légale et formation des équipes et des patients.
Quelques limites toutefois à ce travail, un échantillon de convenance, une sous-représentation du sud de l’Italie, la sévérité déclarée par les patients, l’absence d’indice de fiabilité interne. Cette étude constitue un point utile pour l’adaptation des stratégies nationales.


Ce travail met en évidence une vérité de la pratique : dans l’asthme, la technologie ne constitue pas une finalité, mais plutôt un moyen de renforcer les bonnes pratiques. Les éléments clés demeurent un plan d’action bien défini, une technique d’inhalation optimale et une relation solide entre le médecin et le patient. Les outils numériques viennent ensuite combler les « trous » en offrant des fonctionnalités telles que des rappels de prise, la vérification de la gestuelle, un journal des symptômes et des alertes pour les poussées. En France, la réflexion doit prendre en compte trois niveaux :

  • sélectionner et justifier l’utilisation d’applications validées (par exemple, pour aider à la désensibilisation (Drago®), traiter les crises et les recours au SABA) ;
  • mettre en place un suivi à distance structuré (par exemple, des consultations en ligne sécurisées et des critères clairs pour déterminer si une réévaluation est nécessaire) ;
  • intégrer les données dans le Dossier Médical Personnel (DMP) et les partager avec le médecin traitant et l’infirmière IPA. C’est là que se joue l’amélioration clinique : il ne s’agit pas de « données orphelines », mais de données utiles, discutées et actionnables.

Voici les points à considérer : le RGPD, la traçabilité médico-légale, l’inégalité d’accès à la technologie et le financement. Nous pensons qu’un « starter pack » réaliste, composé d’une application éducative, d’un tutoriel vidéo sur l’inhalation et d’un protocole de suivi à distance simple, serait plus efficace qu’une course effrénée vers la technologie. L’essentiel est que le numérique serve l’asthme, et non l’inverse.

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