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Mesurer correctement la fréquence de l’allergie alimentaire éviterait de tenir des propos démesurés.
vendredi 22 janvier 2010, par
L’allergie alimentaire a la réputation de croître en fréquence sans cesse. Une équipe danoise a chiffré la prévalence de la sensibilisation aux aliments chez de jeunes adultes. Avant de lire la suite, avez-vous une idée de cette fréquence ? Gagnons du temps, vous êtes loin des résultats de nos Sherlock. Alimentaire, mon cher Watson.
Prévalence de la sensibilisation aux aliments chez les jeunes adultes. : M. Osterballe, C. G. Mortz, T. K. Hansen, K. E. Andersen, C. Bindslev-Jensen
Department of Dermatology, Allergy Center, Odense university Hospital, Sdr. Boulevard 29, Odense, DK 5000, Denmark
dans Pediatric Allergy and Immunology
Volume 20 Issue 7, Pages 686 - 692
– Une prévalence croissante de l’hypersensibilité alimentaire (HSA) et de graves réactions allergiques à des aliments ont été décrites au cours de la dernière décennie.
– Toutefois, on a peu d’informations sur la prévalence chez les jeunes adultes.
– Cette étude a estimé la prévalence de l’HSA aux trophallergènes les plus courants dans une population non sélectionnée d’adultes jeunes.
– Nous avons étudié une cohorte de 1272 jeunes adultes de 22 ans par questionnaire, prick-tests, et libération d’histamine, puis test de réintroduction par voie orale.
– On a distingué HSA primaire et HSA secondaire.
– l’HSA primaire a été définie comme indépendante d’une sensibilisation pollinique, contrairement à l’HSA secondaire, laquelle rend compte de réactions à des fruits et légumes suite à une sensibilisation croisée chez des polliniques.
– Le questionnaire a été complété par 77,1% des sujets interrogés.
– Une HSA primaire est signalée par 19,6% de la population étudiée, et une HSA secondaire par 16,7% de la même population.
– l’HSA primaire a été confirmée par le test de réintroduction dans 1,7% des cas.
- Dans ce type d’HSA, les trophallergènes les plus souvent en cause sont l’arachide (0,6%), les additifs (0,5%), la crevette (0,2%), et enfin la morue, le lait de vache, le poulpe et le soja (ces 4 aliments avec la même fréquence de 0,1%).
– En ce qui concerne l’HSA secondaire,
- l’allergie au kiwi a été rapportée par 7,8% des participants, suivie par la noisette (6,6%), l’ananas (4,4%), la pomme (4,3%), l’orange (4,2%), la tomate (3,8%), la pêche (3%), et la noix du Brésil (2,7%).
– En conclusion, rappelons le principal résultat de notre étude : la prévalence de l’hypersensibilité alimentaire primaire, confirmée par le test de réintroduction positif, est de 1,7% pour les allergènes alimentaires les plus fréquents, dans une population non sélectionnée de jeunes adultes.
Voici une étude que j’ai mis un temps non négligeable à digérer, ce qui somme toute n’est pas illogique puisqu’il y est question d’aliments.
L’âge des sujets étudiés m’a surpris, et j’espère vous aussi… Pourquoi diable sélectionner de jeunes adultes TOUS âgés de 22 ans ? Après enquête, la réponse était contenue dans la question, tant il est ici question de sélection…
En effet, souvenez-vous qu’il s’agit d’une publication danoise, et que le Danemark est l’un des derniers pays à pratiquer la conscription obligatoire. Le système de recrutement militaire fondé sur l’appel annuel du contingent de cette vaillante petite nation concerne donc les hommes de 22 ans. Premier point totalement éludé, on est devant une population exclusivement masculine !
Deuxième point fâcheux, la population n’est pas vraiment représentative, les individus étudiés étant ceux retenus après les tests d’aptitude communs à tous les pays du monde, autrement dit après exemption des cas médicaux incompatibles avec le service armé, voire exemption des rejetons dont papa a le bras long. Si, si, je vous jure, ça s’est déjà vu, même en France, pays pourtant pas renommé pour donner facilement des passe-droits. Quant à la latitude du Danemark, celle-ci ne donne pas envie de la qualifier de république bananière. D’ailleurs, notre étude ne fait état d’aucune allergie à la banane…
Pour en revenir à nos « jeunes adultes non sélectionnés », les auteurs ont distingué les allergies alimentaires « primaires » et « secondaires » comme nous distinguons les écoliers d’une part, et les collégiens ou les lycéens d’autre part, selon un critère hallucinant : l’existence pour la seconde catégorie d’une sensibilisation croisée connue avec une famille de pollens. Comme si l’allergie alimentaire aux végétaux était inéluctablement la suite d’une pollinose clinique ! En revanche, il va de soi que l’allergie à la crevette est « primaire », et jamais la suite d’une allergie aux acariens domestiques…
Faisons à présent parler les chiffres. Nos 1272 conscrits reçoivent donc un questionnaire, et 981 d’entre eux y répondent (77,1%). Je n’ose même pas imaginer qu’il puisse y avoir des analphabètes dans la population interrogée, ça me rappellerait trop mon propre Service National.
Les auteurs ont reçu 192 questionnaires (19,6% des 981 réponses) affirmant l’existence d’une allergie « primaire », et 164 questionnaires informant d’une allergie « secondaire », sans qu’on sache exactement combien de sujets décrivent des symptômes survenant après l’ingestion d’aliments compris dans les deux catégories. Dommage.
Continuons à parler en terme de nombres entiers, car les pourcentages me chagrinent toujours, notamment quand ils sont affublés d’une décimale dans le cas de petits effectifs.
Les responsables de l’étude ont donc effectué 192 tests réalistes de réintroduction, sans préciser d’ailleurs s’ils le sont en double aveugle contre placebo ou pas.
Ils obtiennent 17 résultats positifs (ce sont -étrangement- les 1,7% des 981 réponses positives, et pas des 192 tests de provocation), chez autant d’individus, ce qui nous amène donc au final à 6 individus allergiques à l’arachide ; 5 autres à des additifs alimentaires (merci pour de telles précisions) ; 2 réagissent aux crevettes ; 1 à la morue ; 1 au lait de vache ; 1 au soja… et 1 à la pieuvre ! Ce dernier patient me fait subitement prendre conscience que l’étude a porté sur les allergies alimentaires les plus courantes, comme les auteurs le précisent à deux reprises dans le texte.
Il me semble inutile d’aller plus loin et de commenter les autres résultats, au risque d’être encore plus désagréable en suggérant la possibilité d’histaminolibération non spécifique, ou de cofacteurs, ou d’histoires reconstruites, etc.
J’aurais dû me méfier dès la quatrième ligne du texte original, quand les auteurs énumèrent leurs moyens d’études, la place laissée à la biologie se résumant à la libération d’histamine. A l’heure de l’allergologie moléculaire et des progrès diagnostiques fabuleux apportés par les allergènes recombinants et la connaissance des familles moléculaires impliquées dans l’hypersensibilité immédiate, on croirait lire une publication de Richet et Portier sur le chien Neptune en 1902.
Il y a eu quelques progrès dans nos connaissances depuis : si vous ne me croyez pas, allez donc consulter le site allerdata.com.
Enfin, tout est question d’orthographe : l’étude présentée a été réalisée à Odense, petite bourgade danoise où les médecins actuels semblent moins doués pour les comptes que le plus fameux natif du cru ne l’était pour les contes. C’est en effet à Odense que naquit et vécut Hans Andersen, le merveilleux auteur de « La petite sirène », « La petite fille aux allumettes », « Agnès et le triton », etc. : je ne cite que mes favoris !
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