Accueil du site > Allergènes > Venins > Divination : le sang de l’allergique prédit risques et efficacité dans le (…)
Divination : le sang de l’allergique prédit risques et efficacité dans le diagnostic et la désensibilisation au venin d’hymenoptere
lundi 24 novembre 2025, par
Les guêpes et les abeilles ne prennent pas toujours le temps de lire les instructions, mais leur venin témoigne pour elles. C’est une étude italienne qui se penche sur l’utilisation de l’allergologie moléculaire (CRD, component resolved diagnostic) pour améliorer le diagnostic, le pronostic et le suivi de l’immunothérapie spécifique aux venins (VIT). Elle aborde deux questions cruciales, d’abord quels composants moléculaires révèlent le risque d’anaphylaxie ? (Et ensuite, lesquels de ces éléments bougent, ou pas, sous VIT et donc aident à piloter le traitement ? Molecular allergens drive risk stratification and immunotherapy in Hymenoptera venom allergy in cala et al. World Allergy Organization Journal (2025) 18:101128
Méthode
- Cohorte de 378 patients suivis dans un centre national de référence (Rome) qui ont des réactions documentées aux hyménoptères et une sous-cohorte prospective (n=113) qui a été suivie sous VIT de 2015 à 2023.
- Diagnostic : tests sur extraits et CRD ciblant des allergènes majeurs qui sont aussi des marqueurs : Ves v 1/5 (Vespula), Pol d 1/5 (Polistes), Api m 1/3/10 (Apis mellifera), ainsi que des panallergènes (hyaluronidases, DPPIV…), pour distinguer une véritable double sensibilisation de la réactivité croisée.
- Suivi sous VIT : modèles statistiques à effets mixtes des IgE spécifiques (cinétiques par composant) et essais d’inhibition d’IgE in vitro avec des extraits VIT commerciaux pour évaluer leur capacité à empêcher la liaison IgE aux composants moléculaires.
Résultats
- Sensibilisations vespidées dominantes (Vespula 52 %, Polistes 48 %) devant Apis mellifera (26 %) — reflet d’un contexte méditerranéen. Les réactions systémiques ont été observées chez 36 % des patients, principalement des hommes, tandis que les réactions locales importantes ont été plus fréquentes chez les femmes.
- Marqueurs de risque : la présence d’IgE dirigée contre les protéines Ves v 1, Ves v 5, Api m 1 et Api m 3 est indépendamment associée aux réactions systémiques. Une forte co-sensibilisation globale (environ 84 %) justifie la CRD pour distinguer les vrais doubles des faux positifs (CCD/panallergènes).
- Sous VIT, toutes les IgE ne bougent pas de la même façon : Ves v 1/5 décroissent précocement et durablement, Api m 1/5 diminuent plus lentement, tandis qu’Api m 2/3/10 restent stables — utile pour le monitoring (p. ex., suivre Ves v 5/Ves v 1 et API m 1).
- Extraits VIT : hétérogénéité : la capacité d’inhibition des composants varie d’un produit à l’autre, suggérant des différences de composition moléculaire entre fabricants.
Discussion
- La CRD apporte une diminution du risque d’erreurs de classification (extrait positif ne correspondant pas à une « vraie » allergie), identifie les patients à risque (profils Api m 1/3 & Ves v 1/5) et oriente la VIT. Ces constats confirment ce que nous avions déjà décrit sur allergique.org : l’importance d’API m 3/10, souvent négligé ou insuffisamment représenté dans certains extraits d’abeille, ce qui peut expliquer des échecs ou des piqûres graves sous VIT HBV.
- Surveillance sous VIT : l’analyse de la cinétique des composants est plus instructive que la seule mesure des IgE spécifiques pour décider d’interrompre le traitement. Ce point a déjà été abordé dans cet article.
- Dans les régions où les guêpes Vespula/Polistes dominent, il est préférable d’utiliser Ves v 1/5. Pour les abeilles, il faut ajouter Api m 3 et APpim 10 si la maladie est grave, mais Api m 1 doit être négatif ou faible. Ces approches rejoignent la littérature et les recommandations en VIT.
Conclusion
Cette étude confirme que la CRD est un outil central pour évaluer le risque (Ves v 1/5, Api m 1/3) et suivre l’évolution de la VIT. Elle met en avant que tous les extraits de désensibilisation ne se valent pas moléculairement, plaidant pour l’harmonisation des standards. Il y a toutefois quelques limites à cette étude car elle est monocentrique, dans un contexte méditerranéen, avec absence de tests de provocation contrôlés (critère clinique dur) et les panels moléculaires testés sont incomplets (p. ex. Api m 4/6/11 non systématiquement disponibles). Il serait intéressant d’élargir les panels, de coupler les résultats CRD et les critères cliniques, et de documenter l’impact, composant par composant, sur la protection réelle.
À lire également : Apiculture et risque d’allergie au venin d’abeille : la fin d’idées reçues !
Dans nos consultations, la désensibilisation au venin (VIT) reste l’une des rares immunothérapies "de vie ou de mort" avec un bénéfice potentiel immense…à condition d’adresser la bonne cible moléculaire. Cette étude conforte un virage déjà amorcé : raisonner par composants plutôt que par “extrait”. Concrètement : le patient “abeille” qui souffre de chocs répétés et au Api m 1 discret ne doit pas être catalogué en anxieux” ; il est peut être un Api m 3/10 pur et ses extraits inadaptés car incomplets, ne lui ont donné qu’une protection incomplète. Chez un « double positif » abeille/guêpe, les panallergènes (hyaluronidases, DPPIV) peuvent mimer une double sensibilisation. La CRD détecte les faux positifs et évite une VIT inutilement double. En ce qui concerne le suivi, l’idée de tracer des trajectoires IgE par composant est séduisante, puisqu’elle offre un tableau de bord plus significatif qu’un dosage d’IgE spécifique qui " baisse un peu ". Reste le nerf de la guerre : standardiser les extraits et élargir l’accès aux panels moléculaires. En attendant, l’allergologue reste l’équilibriste : écouter la clinique, lire la CRD finement, choisir l’extrait qui correspond au patient, et… rappeler que le stylo d’adrénaline n’est pas (encore) optionnelle.
Recevez les actualités chaque mois
